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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

Ronsard l’emploie souvent : Fosses ombreuses (I, 206), Ombreux cimetaire (IV, 367), chesnes ombreux (V, 54), taillis ombreux (V, 108), tombe ombreuse (V, 315), etc. ; mais le chef de l’École rivale, Clément Marot, n’a pas hésité à dire : la nuict ombreuse (Ero et Leandre) ; et quand à Maurice Scève, il affectionne cette expression : poulsiere Vmbreuse (Délie, dix. lxxxii), Boys vmbreux (dix. cxxi). Doit-on la lui attribuer ? Nullement. On lit déjà dans le roman de Perceval le Gallois : « forest ombreuse » (p. 174) ; dans un Dictionnaire latin-français du xiiie siècle (Bibl. nation., mss. no 7,692), « vmbrosus, vmbreux ; enfin dans les Sermons de saint Bernard (Bibl. nation., no 24,708, fo 42, ro) : « Mont ombrious et espas. »

Nous retrouverons également chez les auteurs de la Pléïade, plumeux, que Vaugelas attribuait à Desmarets ; offenseur, invaincu, dont on regardait Corneille comme le créateur ; et nous verrons qu’un certain nombre de ces expressions, qu’on croyait nouvelles au xviie siècle, remontent à travers le xvie, au berceau même de notre idiome.

Quelquefois c’est un terme que nous croirions d’hier, que nous lisons dans Ronsard. Est-il une expression en apparence plus moderne que celle d’écriture au sens de composition littéraire ? La voici dans une élégie de notre poète adressée à Desportes (VI, 312–515) :

… Ainsi nostre escriture
Ne nous profite rien : c’est la race future
Qui seule en ioüit toute, et qui iuge à loisir
Les ouurages d’autruy, et s’en donne plaisir.

N’est-il pas curieux de voir ainsi ces mots d’auteurs, comme les appelait spirituellement Henri Monnier[1], demeurer pendant des siècles dans la langue, sans

  1. Scènes populaires : Le roman chez la portière.