Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

L’échec momentané d’avidité est une exception. En général les mots utiles s’introduisent vite dans la langue, s’y maintiennent et n’en bougent plus. Il en est tout autrement des termes qui appartiennent exclusivement au langage littéraire et poétique. Certaines épithètes, et précisément les plus brillantes, font des apparitions subites, suivies de longues défaillances. On pourrait les comparer à des comètes dont l’ellipse n’a pas encore été déterminée. Bien différents des mots aventuriers, dont parle La Bruyère (ch. V), « qui paroissent un temps et que bientost on ne revoit plus », ceux-ci ont au contraire de fréquents retours, et se remontrent, à de très longs intervalles, dans les écrits à la mode ; et dans notre pays où l’on oublie vite, on salue chaque fois à titre d’innovation leur nouveauté intermittente qu’on regarde comme une audace, et dont on fait généreusement honneur à l’école littéraire alors en vogue.

En 1831, quand on lisait dans Les Feuilles d’Automne :

Dans la vallée ombreuse
Reste où ton Dieu te creuse
Un lit plus abrité…

il pouvait paraître fort légitime de considérer ombreux comme un de ces adjectifs qui, d’après Alfred de Musset, dans les Lettres de Dupuis et Cotonet, constituent l’essence même du romantisme. Notez qu’on l’aurait vainement cherché dans le Dictionnaire de l’Académie de cette époque, et que, lorsqu’il y paraît, en 1835, il est indiqué comme « usité surtout en poésie », ce qui semble au premier abord une concession à la nouvelle école. Il n’en est rien ; ce prétendu néologisme est un archaïsme rajeuni, ainsi qu’il arrive souvent ; il existait, en 1694, dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie, dont il n’avait disparu qu’à partir de 1762.

Si ce mot n’a pas été créé par l’école romantique, l’a-t-il été du moins par la Pléïade ? Il est certain que