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minante de l’Empire est peu intelligible pour la masse des Petits-Russiens. On peut en dire autant du peuple blanc-russien ; car il ne faut pas oublier que la langue qu’on veut introduire dans l’Église catholique n’est point celle que parle le peuple, mais bien la langue littéraire et officielle, différente de la première.

Quant à la religion, qui est sans contredit le lien le plus puissant, son unité rencontrait ici un grand obstacle de la part du schisme grec. Toutefois, ces difficultés furent surmontées, puisque, à l’époque du premier partage de la Pologne, le catholicisme était dominant dans le royaume non seulement parmi les Polonais et les Lithuaniens, mais encore parmi les Russiens.

Reste la civilisation, compagne inséparable de la religion. Mais ici nous laisserons la parole à un auteur russe, dont le témoignage nous sera d’un grand secours :

La nationalité, dit M. Vladimir Bézobrazov[1], ne consiste pas seulement dans la communauté de sang ou d’origine ethnographique ; ce qui la constitue c’est le caractère moral, l’esprit et tout l’ensemble des éléments sociaux, dont le sang et la race ne sont qu’une partie. Cet esprit national qui donne une direction commune aux opinions et aux sentiments d’un peuple est parfois presque nul en regard d’autres conditions, comme cela a lieu, par exemple, en Alsace-Lorraine. Les habitants de ces provinces sont, de l’aveu commun des Français et des Allemands, tellement imprégnés de l’esprit national de la France, que toutes leurs sympathies sont pour elle et qu’elles n’ont que de la haine pour les Allemands.

Aussi, les Allemands les plus exaltés sont-ils forcés d’avouer que la population de ces provinces ne pourra être dépouillée de l’écorce française qu’au prix des plus énergiques efforts de la part de la Prusse, et encore pas avant cinquante ans. Nous ne voulons pas examiner si, même d’ici à ce temps-là, la chose est réalisable ; nous demandons seulement de quel droit on fait subir de pareilles opérations chirurgicales à des centaines de milliers d’hommes ? Est-ce parce qu’il sied davantage à l’homme d’être allemand que français, ou bien parce que l’avenir appartient à la race germanique ? Est-ce parce qu’il faut profiter du temps favorable pour ramener au foyer paternel les enfants prodigues du germanisme, ou bien parce que la mémoire des ancêtres violemment transformés en Français demande vengeance ? Les patriotes teutons peuvent deviser de la sorte inter pocula, mais ce sont là des rêveries que l’ivresse du triomphe peut seule excuser. Dans notre siècle, où la fièvre

  1. Messager russe, mai 1873, p. 144 et suiv.