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LE MUSICIEN DE PROVINCE

l’ombre épaisse et de cette vision éclatante eut ravi un artiste moins sensible que M. Grillé qui s’arrêta un instant dans la petite allée, les mains jointes, le regard plein de gravité, tandis qu’il appropriait à son extase des phrases musicales qui lui venaient tout naturellement à la mémoire.

Il s’approcha de Mlle Lakmé avec laquelle il n’avait échangé jusqu’à cette heure que des paroles banales. Mlle Lakmé n’était pas très jolie, mais elle avait les traits du visage assez fins et ses mouvements étaient plutôt gracieux. Le cadre exquis où elle se trouvait ce matin-là la faisait presque belle et M. Grillé ne doutait pas que la nature aidant, quelques mots aimables ne tombassent des lèvres de Mlle Lakmé. Il eut une désillusion complète et rapide.

La petite fée de l’instant d’avant était une brute.

On pouvait, après l’avoir interrogée, la comparer, quant à son âme, à un sportman, à un huissier ou à une perruche, mais non à une demi-déesse, encore moins à un être humain.

Elle causait avec un son de voix un peu rauque, par monosyllabes ironiques ou agressifs qui éloignaient toute réponse directe aux questions qu’on lui posait. Cela engendrait une espèce d’enchevêtrement informe et rendait ses idées impossibles à saisir.

Rien n’était curieux comme les efforts de