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LE MUSICIEN DE PROVINCE

un théâtre de province, ceux qu’il fallait préférer aux autres.

J’en eus assez souvent des preuves quand après avoir joué un trio d’Haydn ou une sonate de Mozart, je lui parlais de la grandeur des Huguenots. Alors il avait comme une hâte de se débarrasser de ce charlatan de Meyerbeer et on ne se fût pas douté à ce moment-là qu’il eût pour lui la moindre admiration.

Verdi, Gounod et Boïeldieu étaient en somme ses auteurs, ceux qu’il aimait et vu la pauvreté de l’enseignement qu’il avait reçu et la limite de sa science, cette orientation ne dénotait pas un goût mauvais.

Je ne pouvais guère juger de ce que pensait et de ce que savait M. Grillé, lors de cette première visite que je lui fis, à cette époque lointaine. Je vis seulement ce jour-là que c’était un curieux bonhomme dont certains gestes et certains mots pouvaient paraître grotesques, mais dont les yeux se remplissaient de larmes devant un mauvais portrait de Mozart acheté chez un épicier.

Ce fut en devisant de ces deux aspects de M. Grillé, de celui qui nous avait fait rire et de celui qui nous avait émus, que nous rentrâmes chez nous, Bergeat et moi, par une après-midi d’automne, en suivant les bords de la Loire dont l’harmonieuse majesté m’empêchait de trop regretter que ce fut sitôt fini d’entendre causer d’art.