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l’on suive aveuglément les insinuations d’une nation qui ne songe qu’à elle, parce que quelques intérêts particuliers trouvent leur compte dans cet asservissement[1] ».

Dupleix souffrait profondément de cette faiblesse ou, si l’on préfère, de cette complaisance de nos concitoyens. Nul n’osait défendre les intérêts de la France les yeux dans les yeux. Pour ne pas avoir d’affaires, on cédait tout et les concessions n’étaient jamais suffisantes. Appréciant le traité signé par Godeheu le 26 décembre 1754, Dupleix écrivait (B. N. 9161, p. 134) :

« L’esprit anglais se fait sentir dans chaque article de ce traité. Les Anglais dans celui-ci sont maîtres de porter leur établissement dans l’endroit où ils jugeront pouvoir tirer le plus d’avantages et nous nuire le plus, en un mot d’un bout à l’autre de ce traité ce n’est que ce que les Anglais veulent ; ce sont eux qui imposent la loi ; on le souffre, au milieu des plus précieux avantages que l’on sacrifie, non à une force supérieure, mais au bon plaisir et à la cupidité des Anglais et aux intérêts de leur compagnie. Ceux de la nôtre n’ont été nullement envisagés ; les intérêts, la gloire, l’honneur de notre nation sont foulés aux pieds, à la face d’une nation chez qui la considération et l’estime que l’on s’acquiert est l’unique mobile du crédit et d’un commerce avantageux ».

Dupleix n’était nullement résolu pour son compte à se prêter à tous ces accommodements, où les intérêts de la nation s’en allaient en fumée :

« Ma santé souffre un peu, écrivait-il à son beau-frère Choquet le 9 novembre 1753 (B. N. 9151, p. 112), de tant d’événements et de travail, mais ma fermeté est toujours la même et je ne puis absolument me soumettre au joug que l’Anglais a voulu nous présenter. Je crains bien que vous ne soyez trop prophète sur ce qui arrivera ici quand je me retirerai. Je ne verrai point

  1. Dupleix à St-Georges, 25 janvier 1754. B. N. 9151, p. 145.