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fraîcheur du matin, balancée par un vent léger, baignait son front moite, son visage fripé par la veille et la prière. Déjà les toits bleuissaient, les persiennes tranchaient en clair sur la pierre enfumée des maisons.

Le pasteur fit face au Levant. Des fonds obscurs de la nuit, une ample nappe de lumière montait vers lui, une lumière rosée, qui bientôt rayonna dans tout le ciel. La nature entière s’éveillait ; des milliards de molécules joyeuses scintillaient dans l’air matinal. Et, tout à coup, un souffle nouveau gonfle sa poitrine, une force surhumaine le pénètre, le soulève, le grandit démesurément. Il prend en un instant conscience de possibilités sans limites : sa pensée commande à l’univers : il peut tout oser, il peut crier à cet arbre : Frémis ! et il frémira ; à cette enfant : Lève-toi ! et elle ressuscitera. Il étend le bras ; et soudain, prolongeant son geste, le feuillage de l’avenue palpite : de l’arbre qui est à ses pieds, une nuée d’oiseaux s’échappe avec des pépiements d’ivresse.

Alors il s’approche du lit, pose la main sur les cheveux de la mère agenouillée, et s’écrie :

— « Alléluia, dear ! Le total nettoyage est accompli ! »