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d’œil, son malaise s’accrut. Pourquoi donc ?

Ah, c’est qu’il était ici, présent dans chaque détail ! C’est lui qui avait poussé le piano en biais devant la fenêtre, comme chez elle ! C’est lui sans doute qui l’avait laissé ouvert ; ou, si ce n’était lui, c’était pour lui que la musique s’effeuillait en désordre ! C’est lui qui avait voulu ce large divan bas, ces cigarettes à portée de la main ! Et c’était lui qu’elle voyait là, allongé parmi les coussins, avec son air nonchalant et soigné, le regard gai coulant entre les cils, le bras abandonné, une cigarette entre les doigts !

Un glissement sur le tapis la fit tressaillir : Noémie parut, dans un peignoir à dentelles, le bras posé sur l’épaule de sa fille. C’était une femme de trente-cinq ans, brune, grande, un peu grasse.

— « Bonjour, Thérèse ; excuse-moi, j’ai depuis ce matin une migraine à ne pas tenir debout. Baisse les stores, Nicole. »

L’éclat de ses yeux, de son teint, la démentait. Et sa volubilité trahissait la gêne que lui causait cette visite : gêne qui devint une inquiétude, lorsque tante Thérèse, se tournant vers l’enfant, dit avec douceur :