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marchait la première ; elle se retourna :

— « Merci », dit-elle, en tendant ses deux mains. Le geste était si spontané, si masculin, qu’Antoine prit ces mains et les serra, sans oser y porter les lèvres.

— « Cette petite est tellement nerveuse », expliqua-t-elle. « Elle a dû entendre aboyer Puce, croire que c’était son frère, accourir. Elle n’est pas bien depuis hier matin, elle a eu la fièvre toute la nuit. »

Ils s’assirent. Mme  de Fontanin tira de son corsage le mot griffonné la veille par son fils et le remit à Antoine. Elle le regardait lire. Dans ses rapports avec les êtres, elle se laissait toujours guider par son instinct : et dès les premières minutes, elle s’était sentie en confiance auprès d’Antoine. « Avec ce front-là », songeait-elle, « un homme est incapable de bassesse. » Il portait les cheveux relevés et la barbe assez fournie sur les joues, de sorte qu’entre ces deux masses sombres, d’un roux presque brun, les yeux encaissés, et le rectangle blanc du front, formaient tout son visage. Il replia la lettre et la lui rendit. Il semblait réfléchir à ce qu’il venait de lire ; en réalité, il cherchait le moyen de dire certaines choses.