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rations des conducteurs, se mêla un râclement rauque qui domina tout le reste : le râle du cheval de flèche, un cheval gris, que tous les autres piétinaient, et qui, les pattes prises sous lui, s’époumonnait, étranglé par son harnais. Un homme, brandissant une hache, se jeta dans la mêlée : on le vit trébucher, tomber, se relever ; il tenait le cheval gris par une oreille, et s’acharnait à coups de hache contre le collier ; mais le collier était de fer ; l’acier s’y ébréchait ; on vit l’homme se dresser avec un visage de fou et lancer la hache contre le mur, tandis que le râle devenait un sifflement strident, de plus en plus précipité, et qu’un flot de sang jaillissait des naseaux.

Alors Jacques sentit que tout vacillait : il tenta de se cramponner à la manche de Daniel, mais ses doigts étaient raides, et ses jambes amollies le laissaient glisser à terre. Des gens l’entourèrent. On le conduisit dans un jardinet, on l’assit près d’une pompe, au milieu des fleurs, on lui bassina les tempes avec de l’eau fraîche. Daniel était aussi pâle que lui.

Quand ils revinrent sur la route, tout le village s’occupait des fûts. Les chevaux