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rieux, à mesure qu’il désespérait d’y parvenir. Ses lèvres, desséchées par les cigarettes et la fièvre, étaient brûlantes. Sans plus craindre de se faire remarquer, sans s’inquiéter des grondements lointains du tonnerre, il se mit à courir, deci, delà ; et les yeux lui faisaient mal à force de chercher. L’aspect de la ville changea brusquement : la lumière sembla monter des pavés, et les façades se découpèrent en clair sur un ciel violacé ; l’orage approchait ; de larges gouttes de pluie commencèrent à étoiler le trottoir. Un coup de tonnerre, brutal, tout proche, le fit tressaillir. Il longeait des marches, sous un fronton à colonnes : le portail d’une église s’ouvrait devant lui. Il s’y engouffra.

Ses pas sonnèrent sous des voûtes ; un parfum connu vint à ses narines. Aussitôt il éprouva un soulagement, une sécurité : il n’était plus seul, la présence de Dieu l’environnait, l’abritait. Mais, au même instant, une nouvelle frayeur l’envahit : depuis son départ il n’avait pas une fois songé à Dieu ; et tout à coup il sentit planer sur lui le Regard invisible, qui pénètre et retourne les intentions les plus secrètes ! Il eut conscience d’être un grand coupable, dont la pré-