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Ah, c’est affreux, ces aspirations sans issue !…

« Tu me félicites de mon sérieux. C’est ma misère, au contraire, c’est mon destin maudit ! Je ne suis pas comme l’abeille butineuse qui s’en va sucer le miel d’une fleur, plus d’une autre fleur. Je suis comme le noir scarabée qui s’enferme au sein d’une seule rose, et vit en elle jusqu’à ce qu’elle ferme ses pétales sur lui, et, étouffé dans cette suprême étreinte, il meurt entre les bras de la fleur qu’il a élue.

« Aussi fidèle est mon attachement pour toi, ô mon ami ! Tu es la tendre rose qui s’est ouverte pour moi sur cette terre désolée. Ensevelis mon noir chagrin au plus creux de ton cœur ami !

« D. »

« P.-S. Pendant les vacances de Pâques, tu pourras sans crainte écrire chez moi. Ma mère respecte toutes mes épistoles. (Pas cependant des choses extraordinaires !)

« J’ai fini La Débâcle de Zola, je peux te la prêter. J’en suis encore ému et frissonnant. C’est beau de puissance et de profondeur. Je vais commencer Werther. Ah, mon ami, voilà enfin le livre des livres ! J’ai pris aussi