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Dans cette veine de sensibilité, je pourrais facilement citer beaucoup ; je me bornerai à cette dernière pièce, qui rappelle les couplets de Béranger à son habit :

Le vieux soldat à son manteau

Voilà trente ans que tu me sers ; tu as survécu à mainte tempête, tu m’as protégé comme ferait un frère, et quand s’allumait l’éclair des canons, nul de nous jamais ne trembla.

Nous avons passé ensemble bien des nuits, transpercés jusqu’aux os ; c’est toi seul qui me réchauffais, et ce que mon cœur éprouvait d’affliction, c’est à toi, cher manteau, que je le confiais.

Jamais tu n’es allé à la maraude ; tu m’es demeuré discret et fidèle, fidèle en tout et partout : aussi ne te laisserai-je plus mettre une seule nouvelle pièce, car alors tu te trouverais complètement renouvelé.

Et dussent-ils m’en railler, tu ne m’en seras pas moins cher, car chaque lambeau pendant révèle le passage d’une balle : chaque balle fait un trou.

Et quand viendra la dernière balle se loger dans mon cœur allemand, consens, cher manteau, à ce qu’on t’enterre avec moi : c’est le dernier service que je te demande ; qu’ils m’ensevelissent dans tes plis.

Ainsi demeurerons-nous étendus tous deux dans la tombe jusqu’au dernier appel. Le dernier appel doit tout réveiller. Tu vois donc qu’il est indispensable que j’aie avec moi mon manteau.


J’ai parlé de Béranger, et je ne retire pas ma comparaison. Ici, comme dans les couplets À mon habit, la sincérité de l’émotion n’exclut pas une certaine malice goguenarde, qui est la philosophie pratique du vieux soldat : — « Aussi ne te laisserai-je plus mettre