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delà le fleuve ; je l’entendis, et il me fallut m’élancer à la nage vers la patrie. — Mais ça n’alla pas bien !

À une heure après minuit, ils m’ont ramené, ils m’ont conduit aussitôt devant la maison du capitaine ; ah ! Dieu ! ils m’avaient repêché dans le fleuve. — C’est fait de moi !

Le matin suivant, vers dix heures, on me place devant le régiment ; et je dois alors demander pardon ; et, je le sais d’avance, je ne recevrai pas moins ce que j’ai mérité. Je ne le sais que trop !

Vous tous, chers camarades, vous me voyez aujourd’hui pour la dernière fois ; c’est pourtant le jeune pâtre seul qui en est cause : sa trompe des Alpes me vaut cela. Je le dis tout haut !

Vous, mes trois camarades, mes frères, je ne vous demande qu’une chose : tuez-moi du coup ! n’épargnez pas ma jeune vie ; tirez juste, de manière à ce que la sang jaillisse. — Voilà ce que je vous demande !

Ô roi du ciel. Seigneur ! tire à toi là-haut ma pauvre âme ! Prends-la près de toi dans le ciel ; permets qu’elle reste toujours dans le ciel, toujours près de toi, — et ne m’oublie pas !


La poésie a rarement mieux pris la sensibilité populaire sur le vif. Comme cette douleur est vraie ! comme cette triste histoire se déroule avec un enchaînement naturel de réflexions justes, profondément senties, et où le tour ironique de l’esprit du peuple ajoute encore son charme original ! Mais ce sont les bruits expressif de la complainte allemande qu’il faudrait entendre, avec de la musique de Schubert pour accompagnement ! — « C’est cependant le jeune pâtre seul qui en est cause ! » Savez-vous un cri plus naïvement arraché des entrailles ? Le vers allemand qui dit cela est un pur sanglot.