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l’air était calme et transparent ; et pourtant on voyait s’agiter les rameaux ainsi que les cheveux du berger.

Et dès que j’eus posé le pied dans l’ombre du vieil arbre, je me sentis envahir par le froid et par les frissons, comme si déjà l’hiver était là !

On entendait siffler dans ses branches comme la sourde voix de la tempête et du vent du nord ; et plus bas, à ses pieds, régnait une atmosphère humide et froide, comme dans la tour d’une prison.

On croit ouïr à travers les feuilles les gémissements sinistres du désespoir ; et le sol entier qu’elles ombragent semble empreint d’une rosée de larmes.

Pourquoi, demandai-je au berger, pourquoi les éléments sont-ils ainsi déchaînés sous cet arbre, tandis que partout ailleurs les bois, les vallées et les collines jouissent du plus profond repos ?

Voyez-vous, me dit-il, ce château suspendu là-haut sur ces rochers à pic ? Ce ne sont plus maintenant que des ruines désertes ; mais jadis la vie s’y épanouissait dans toute sa sève.

C’était autrefois le séjour des comtes de Leuchtenberg ; que de fois, pareils à des aigles, n’ont-ils pas pris, de là, leur vol pour s’abattre dans les campagnes effrayées !

Et il advint que la fille d’un de ces comtes se prit d’amour pour un simple écuyer ; l’amour entraîna la faute, et la faute fut cruellement punie.

Le père arracha le jeune homme à son doux rêve d’amour ; il le fit mettre à mort, puis enterrer là sous cet arbre.

Le père jeta la jeune fille au fond de cette sombre tour, seule avec son désespoir, seule au sein des froides ténèbres et des hurlements de la tempête.

Et dès les premières blancheurs de la prochaine aurore, elle bondit de sa froide couche vers les barreaux de sa fenêtre et plongea ses regards vers cet arbre.

Et elle s’écria : — Qu’à jamais soit maudit ton toit de feuilles,