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fatigable sur le prix du manger, du boire et du dormir, n’ont pas un mot pour les souvenirs que la fantaisie et l’histoire ont tour à tour semés sur ces rives. Le Rhin a été la plus forte barrière des Gaules contre les invasions renaissantes des barbares du Nord ; les traces de Germanicus et de César Julien y sont encore sur plus d’un point visibles, et l’histoire n’a pas oublié la victoire décisive remportée par ce dernier à Argentoratum (Strasbourg), victoire qui eut pour résultat de retarder du moins pendant quelques années encore le débordement, à mainte reprise tenté, et toujours si difficilement contenu, des tribus germaniques. Plus tard, c’est de nouveau sur le Rhin, mais particulièrement dans sa vallée inférieure, que retentissent ces chocs immenses d’hommes et de races différentes, d’où sortirent, après tant de dévastations, tant de misères, tant de sang versé, les premières agrégations de peuples, plus nettement dessinées, plus solidement assises avec le temps, et qui devaient devenir les nations modernes.

La légende a fait son butin de ces événements, dont les imaginations contemporaines furent profondément ébranlées, et dont le contre-coup a résonné jusque dans les âges suivants. Chaque siècle a grossi ce legs du passé, chaque siècle y a répandu un peu de cette brume merveilleuse qui finit par transfigurer l’histoire en épopée, les faits et gestes d’autrefois en figures épiques et mythiques. Les bords du Rhin sont peut-être le pays du monde où cette poétique transformation de la matière historique et légendaire s’est opérée avec le plus d’abondance et de force. On peut dire que les divers éléments de la poésie du moyen âge sont