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L’Alsace doit avoir une originalité forte, à en juger par les éléments dont elle est formée. Le Rhin lui apporte la fraîcheur de ses eaux encore frissonnantes de la neige des Alpes, ainsi que l’arrière-écho des chansons répétées en chœur par les laborieuses populations des vallées et des montagnes. L’air salubre et libre qui souffle de la Suisse y gonfle les poitrines et y prédispose l’âme aux pensées hardies. L’Allemagne est sur l’autre rive, avec ses imaginations rêveuses, ses cœurs naïfs, ses mœurs plus rapprochées de la nature. À droite, les lignes gracieusement onduleuses des Vosges l’encadrent, et c’est contre ces barrières des collines et des eaux que l’esprit sympathique de la France la presse et la pénètre incessamment. Entre les trois influences du Rhin, de la Suisse et de la France, comment l’Alsace ne serait-elle pas une race guerrière par excellence ? On sait quels soldats elle enfante ; son héroïque et magnanime Kléber prouve ce que peuvent devenir ses fils.

À plus d’une reprise, la question s’est agitée en Alsace de savoir si le moment n’était pas venu pour les littérateurs indigènes d’adopter définitivement la langue française et d’en faire l’instrument de leurs compositions futures. Le débat est de ceux qui sont toujours à recommencer, et je n’y vois qu’un texte à d’ingénieuses discussions, parfois un peu vides, où s’exerce la faconde locale. Les partisans des lettres françaises n’aperçoivent désormais de salut que dans la prose ou dans la forme poétique où se sont immortalisés nos grands auteurs, et il faut convenir que le précepte serait excellent à suivre pour qui saurait les imiter. Les zélateurs de l’opinion contraire ne man-