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J’ai rêvé jadis d’amour brûlant et farouche, de jolies boucles, de myrtes et de résédas, de lèvres douces et de paroles amères, de sombres chansons exhalées en sombres mélodies.

Depuis longtemps mes rêves se sont flétris et dispersés. Oui, le cher essaim de mes visions s’est tout entier évanoui ! Il ne me reste que la lave bouillonnante que j’épanchai jadis en de molles rimes.

Tu m’es restée, chanson orpheline. Disperse-toi aussi maintenant ; vole à la poursuite de la vision qui depuis longtemps m’a délaissée, et parle-lui de moi si tu la retrouves. — À cette ombre légère, j’envoie une légère haleine.


Collines et burgs se mirent dans le clair miroir du Rhin, et ma barque glisse légère sur une douce pluie de rayons.

Calme et rêveur, je contemple le jeu des flots dorés qui s’agitent à peine ; je sens se réveiller doucement les pensées que j’avais ensevelies au fond de mon cœur.

La beauté du fleuve m’invite à y plonger par des agaceries charmantes et pleines de promesses ; mais je le connais : si sa surface brille, ses profondeurs cachent les ténèbres et la mort.

À la surface, volupté ; au fond, perfidie. Ô fleuve ! tu es l’image de celle que j’aime : elle aussi elle a de ces agaceries charmantes ! elle aussi elle sait sourire d’un air innocent et si doux !


Crois-moi, jolie pêcheuse, conduis ta barque vers le bord ; viens t’asseoir à mon côté et causons, la main dans la main. Pose sur mon cœur ta jolie tête et cesse de trembler ainsi : chaque jour ne te confies-tu pas sans crainte à la mer farouche ?