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entrailles de la terre, ceux qui saluèrent d’un sourire mon entrée dans le monde, et depuis longtemps tout souvenir de moi s’est effacé. Seigneur, j’ai bien souffert, et j’ai bien expié ; — mais errer en étranger au milieu de ma patrie, non, jamais ! ce serait verser l’absinthe dans l’amertume pour l’adoucir. Non ! laisse-moi mourir seul et délaissé du monde entier, mais confiant dans ta miséricorde. Des hauteurs de ton ciel, les symboliques lueurs de ta croix descendront en rayons étoiles sur mes os.


Tel est ce poëme, où la résignation s’élève au sublime, et où le philosophe chrétien modère, d’une manière si émouvante, la fougueuse inspiration du poète. Chamisso symbolisait tout ce qu’il touchait : à combien de situations de la vie ne pourrait-on pas appliquer les grandes images de son Salas y Gomez ? De combien d’autres l’Ombre de Pierre Schlémihl n’était-elle pas déjà le miroir ? Je ne sais si je m’abuse ; mais il me semble voir, dans ces ingénieuses allégories, comme un ressouvenir de la mère-patrie, d’où le poète avait été arraché si jeune, — comme un regret voilé, quoique éternellement saignant, de l’exilé jeté tout à coup sur ce sol toujours rude de l’étranger, et qui pourtant, à la fin, à force d’y avoir souffert, préfère encore y mourir que de retourner sur la terre natale, « comme un cadavre qui n’y foulerait plus que des cadavres. »