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l’aspect de la noble victime, et c’est alors que le regret de la vie arrache une plainte suprême de cette âme déjà envahie par les ombres de la mort. « À quoi sert, dit-il, que celui qui a fait le mal se mette ensuite à le déplorer ? Celui-là ferait mieux de s’abstenir. » Hagen voyant les guerriers s’attendrir : « Je ne sais pas » dit-il, ce que vous pouvez regretter ; ne sommes-nous pas, au contraire, arrivés au terme de notre humiliation et de nos soucis ? Il en reste bien peu maintenant qui oseraient marcher contre nous, et je me glorifie de ce que ma main, ait exécuté votre sentence contre celui qui est là gisant. » Alors le héros, faisant un nouvel effort et s’adressant à son assassin d’une voix défaillante : « Il vous en coûte peu de vous louer ; si j’avais pu deviner vos perfides desseins, je n’aurais pas eu de peine à me défendre contre vous. Mais rien ne m’afflige tant que la pensée de Chriemhilt, ma fidèle épouse ; malheur à moi d’avoir un fils à qui on dira un jour que ses plus proches alliés ont frappé quelqu’un par la trahison et par le meurtre ! » Le nom de son épouse s’étant ainsi échappé de ses lèvres, Sigfrid puise dans ce doux et amer souvenir assez de force pour se tourner une fois encore vers ses meurtriers, et pour les prier de porter à la malheureuse Chriemhilt sa dernière pensée et son dernier soupir. « Gunther, noble roi, dit-il, s’il m’est permis de croire que vous voudrez, une seule fois encore, vous montrer loyal envers quelqu’un, laissez-moi vous recommander ma fidèle épouse ; faites qu’elle puisse s’apercevoir qu’elle est votre sœur ; entourez-la de votre protection et de vos soins, ainsi qu’il convient à un noble prince. Mon père et mes hommes vont m’attendre long-temps. »