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vraiment, répond Brunhild avec orgueil : ton époux est et restera notre vassal. » Un courroux légitime s’empare alors de Chriemhilt : « Et Sigfrid est pourtant encore plus noble que Gunther, mon frère ; et je ne m’étonne que d’une chose, c’est qu’il ait consenti pendant tant d’années à vous payer tribut et à vous rendre hommage. — Nous allons voir, reprend Brunhild, si l’on te rendra les mêmes honneurs qu’à moi ! — Oui, nous allons voir ! s’écrie Chriemhilt, nous allons voir si aujourd’hui même je n’aurai point le pas sur toi à notre entrée dans l’église ! »

Les reines partent pour l’église, non plus de compagnie et de bon accord comme naguère, mais chacune de son côté, chacune avec son escorte de nobles dames. Brunhild s’arrête devant la cathédrale et attend Chriemhilt. Lorsque cette dernière arrive, Brunhild lui adresse à haute voix, et en présence de la suite nombreuse, l’ordre de s’arrêter. « Une sujette, s’écrie-t-elle, ne doit point passer avant la reine. » Ces paroles impérieuses allument pour la première fois le feu de la colère dans l’âme, jusqu’à ce moment sans fiel, de cette femme aimante et douce. « Tu aurais dû garder le silence, Brunhild ; tu as poursuivi de ton amour Sigfrid, et tu as subi la honte d’en être délaissée ; c’est lui aussi qui t’a domptée et vaincue, lui, et non Gunther. Ainsi donc, c’est toi-même qui t’es livrée à un vassal. » Puis, se repentant aussitôt d’avoir prononcé un mot blessant, elle ajoute : « Tu es seule cause de cette déplorable querelle, j’en éprouverai éternellement du regret ; tu peux m’en croire sur ma foi, je suis toujours prête à vivre avec toi de nouveau dans une amitié sincère. » Mais la blessure était trop profonde. Au sortir de la