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château, les yeux fixés sur le chemin par lequel les vainqueurs doivent revenir aux bords du Rhin. Enfin reparaît l’armée triomphante, et la jeune fille peut voir le joyeux tumulte qui s’élève devant les portes du bourg, sur le vaste plateau qui s’étend jusqu’au Rhin ; et, parmi tant de héros, ses yeux contemplent le héros des héros, honoré, admiré et applaudi plus que tous les autres ; mais les regards de Sigfrid ne peuvent toujours pas atteindre où ils aspirent : pudique et silencieuse, Chriemhilt continue de se cacher dans son étroite retraite.

Cependant un tournoi magnifique est annoncé, et le jour de la Pentecôte amène, de loin comme de près, les meilleurs et les plus renommés chevaliers (on y comptait trente-deux princes) à la cour du roi de Bourgogne. C’est là qu’enfin, à côté de sa mère Ute, et suivie d’une escorte de cent chambellans tenant à la main leur épée, ainsi que de cent nobles dames et jeunes filles richement parées, doit se montrer pour la première fois en public la douce et modeste Chriemhilt. Elle s’avance comme l’aurore qu’on voit sortir des sombres nuages ; elle s’avance dans le doux éclat de la jeunesse, de la beauté et de l’amour silencieux. Sigfrid se tient au loin : « Comment, dit-il tout bas, comment serait-il possible que j’osasse l’aimer ! C’est une audace insensée. Et pourtant s’il me fallait renoncer à toi, je préférerais mourir ! » Cependant, conformément à l’usage des cours, Gunther, averti par Gernot, invite Sigfrid à venir saluer sa sœur. Le héros s’avance et s’incline avec amour devant la jeune fille. La force secrète de l’amour triomphe alors, et ils échangent furtivement de tendres regards. Toutefois