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notre-dame de fourvière

Aussi bien, dans le développement du culte, exercé sur la sainte colline, la douleur s’est montrée une plus entreprenante et plus hardie ouvrière que la prospérité ou la joie. N’est-ce pas d’elle, soulevée par un amour que la plus cruelle des épreuves rendait d’une prophétique clairvoyance, n’est-ce pas de ses pleurs, de ses angoisses patriotiques, de ses déchirements après le désastre, qu’est sorti le plus magnifique, le plus émouvant des ex-voto, je veux dire la basilique neuve, tout étincelante de la blancheur de ses marbres et de l’or de ses mosaïques ? Il me reste, pour achever ma tâche d’historien, à rechercher comment cette œuvre a été conçue et proposée, à nommer ses patrons, à relever les principales étapes, qui l’ont conduite à une perfection, qui ne cesse d’être l’objet de l’admiration universelle.

L’année terrible de 1870 imposait à notre pays de sanglantes défaites et de violentes expiations. Nos provinces envahies, nos armées prisonnières, le trône impérial effondré, un gouvernement improvisé sous la poussée des révolutionnaires parisiens, tant de maux et tant de deuils, où l’on n’avait pas de peine à entrevoir le châtiment d’une Justice lassée par trop de crimes, rendirent au sentiment religieux sa vivacité, et la prière s’échappa des cœurs les plus secs avec des accents et une ardeur qu’on ne lui connaissait plus.

Notre ville, si éloignée qu’elle fût des premiers champs de bataille, craignit bientôt l’approche de l’ennemi ; un grand nombre des plus riches familles l’avaient abandonnée pour se réfugier en Suisse ; l’Hôtel de ville, dont le beffroi était déshonoré par le drapeau rouge, était tombé au pouvoir d’une faction dépendante des pires clubs ; des émeutes éclataient à propos de rien ; des bandes de gardes-nationaux perquisitionnaient sans mandat, et, dans la soirée du 4 septembre, des couvents avaient été livrés au pillage et d’inoffensifs religieux jetés en prison avec le préfet du Rhône. Six semaines de ce régime avaient usé la patience des plus dévoués et des plus honnêtes parmi les citoyens ; les mères, dont les fils bivouaquaient sous les murs de Metz ou de Belfort, dans les bataillons de mobiles occupant la Côte-d’Or ou la Franche-Comté, souffraient un martyre dont elles étaient, seules, capables de mesurer l’étendue. Les nouvelles les plus alarmantes, les plus invraisemblables, se colportaient et grossissaient de bouche en bouche, de journal à journal. On ne recueillait que des bruits de trahison, de départements rançonnés, d’otages fusillés, de Bavarois et de Saxons s’avançant par les vallées de la Saône et du Doubs et prêts à forcer nos portes.

Une pareille infortune appelle d’elle-même la pitié divine ; on songea à se la rendre plus favorable encore, en ayant recours à la plus compatissante des mères, en l’implorant sur la montagne bénie d’où ses grâces étaient toujours descendues. Ce qu’on n’avait pas osé tenter, dans d’autres temps prospères et calmes, on décida de l’exécuter sous le coup de ces effrayantes calamités. Le pieux désir, qui flottait depuis longtemps dans l’opinion, encore hésitante et mal en point, agréé par une immense majorité, soudainement gagnée et retournée, devint une condition formelle de salut et d’espoir. On rédigea l’engagement sommaire, pour chacun, de concourir à la construction d’un nouveau sanctuaire à Fourvière si la Très-Sainte Vierge préservait de l’invasion la ville et le diocèse, et on le jeta dans la circulation, sur de petites feuilles imprimées, qui se couvrirent, instantanément, de milliers de signatures.