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nazareth

NAZARETH

La société de Nazareth n’est pas d’origine lyonnaise, mais c’est à Lyon que cette restauration à la fois si hardie et si modeste produisit ses premières fleurs et ses premiers fruits dans l’enseignement chrétien des jeunes filles. Elle commença modeste et pauvre d’abord, abondante par la suite. Rappelons en quelques mots, la vie admirable de la grande et pieuse dame nommée Mme de Larochefoucauld, duchesse de Doudeauville, fondatrice temporelle, parce qu’elle ne voulut jamais d’autre titre, quoiqu’elle en méritât un bien supérieur. Sa foi éclairée et prudente, son sens exquis de la vocation religieuse et des nécessités du siècle agité où elle prodigua sa vie jusqu’aux extrêmes limites de la vieillesse, après avoir traversé les péripéties de la Révolution, faisaient de l’épouse « du duc aux bienfaits » comme on appelait son mari, par antithèse « aux ducs à cordon », une initiatrice d’âmes, une régulatrice des tempéraments les plus opposés. Au demeurant. Mme RoUat, première supérieure de Nazareth, ne se considéra jamais que comme l’assistante, la seconde de la duchesse.

L’héritière de la branche aînée des Larochefoucauld était née Augustine-Françoise Le Tellier de Louvois de Montmirail : sa mère, fantasque au possible, dure par ostentation de rigorisme qu’elle mêlait aux excentricités les plus inattendues, comprima son enfance et en aurait tari les sources de tendresse si elles n’eussent été infinies. Elle fut jetée d’un coup dans le monde, comme une bouée en pleine eau, mariée à un enfant de quatorze ans qu’elle avait à peine aperçu dans une fête, le jeune Ambroise de Larochefoucauld-Montendre, fils du marquis philosophe à qui revenait le duché de Doudeauville ; elle avait à peine elle-même atteint à l’adolescence. Il va de soi que les deux époux en miniature furent séparés dès la messe dite et le contrat signé : c’était la mode, mais encore purent-ils s’écrire. Dieu avait bien fait les choses malgré les hasards apparents des usages frivoles. Ambroise de Larochefoucauld-Doudeauville avait un naturel sérieux, un cœur ardent au bien, une raison qui ne se laissait égarer par aucun sophisme ; il grandit, se fortifia de corps, s’embellit du reflet de ses pensées précoces, et quand les institutions de l’ancienne France s’écroulèrent, sa femme et lui émigrèrent. La duchesse, après avoir erré à l’étranger, retourna à Paris pour y veiller sur sa fortune devenue déjà le bien des pauvres. Elle se fit arrêter plutôt qu’on ne l’arrêta deux fois. La première fois elle émut ses juges ; convaincue d’entretenir correspondance avec son époux, elle fut néanmoins acquittée, après ce mot d’un juge : « Tu es une brave femme, citoyenne. » Elle fut plus brave encore en allant trouver Fouquier-Tinville pour revendiquer une lettre qui avait compromis un ami ; le pourvoyeur de la guillotine ne cacha pas son admiration et son respect, et il reconduisit la duchesse libre à son bras sanglant.

La tempête apaisée, le duc et la duchesse, plus heureux que beaucoup d’autres, étaient