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bien, forçant à l’aide d’un coursier vigoureux le cerf plein de ruses, je laisse le lièvre au fermier. La forêt voisine descend pour alimenter le feu de mon foyer, qu’entoure une troupe d’enfants pauvrement vêtus. Alors j’invite le chasseur qui passe, et le voisin, entendant ma voix, me fait raison le verre à la main. Chez moi, point de chaussure à lunule, point de toge et de vêtement de pourpre répandant leur forte odeur ; le sale Liburnien, l’importun client et le protecteur impérieux évitent ma demeure ; nul créancier n’interrompt mon sommeil, et je dors la grasse matinée.

Enfin ma femme est bonne et tranquille ; elle m’aime, elle admire mon esprit, et elle écoute mes vers.

Et pourtant, cher Sextus, te l’avouerai-je ? il y a des moments où tout ce bonheur me pèse. Ingrat que je suis, je calomnie ma sécurité présente, je regrette Rome et ses heureuses misères ! Par exemple, si tu savais, mon ami, quelle rencontre je fis hier !

Ne le dis à personne ; ne montre ma lettre à qui que ce soit dans cette Rome remplie de délateurs ! Il y va de ma liberté, et peut-être d’une vie plus précieuse que la mienne. Hier donc j’étais sur le devant de ma porte, à l’ombre de ma vigne, pensant à Rome, aux poètes mes frères, quand soudain je vis défiler devant moi une cohorte de jeunes soldats romains. A la suite de cette cohorte venait au pas un vieux centurion. Ses cheveux, blanchis par l’âge, flottaient au gré du vent sous le casque épais qui chargeait sa tête ; sa main vénérable avait peine à tenir une lourde épée ; son corps en sueur pliait sous cette armure, et on eût dit un homme condamné au dernier supplice. Là, arrivé devant moi, pendant que les soldats poursuivaient leur chemin, il s’arrêta debout, et, s’appuyait sur son épée, il déclama en me regardant ce vers du poëte de Mantoue :

Heureux vieillard ! tu conserves tes champs !