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table qui n’en avait que deux ! Sur ces planches grossières, mon maigre garde-manger de chaque jour, était étalé un fromage de Toulouse entouré d’un vieux chapelet d’aulx et d’oignons, non loin d’une moitié d’amphore qui portait un réchaud à cuire mes harengs. Seulement, ce qui relevait un peu cette misère et ce qui lui donnait un aspect respectable, c’étaient quelques beaux exemplaires de mes poètes favoris : l’Iliade et le poëme d’Ulysse, si fatal à l’empire de Priam ; les œuvres de Virgile, ornées à la première page du portrait de ce grand poëte ; la Thaïs de Ménandre, la première histoire qui ait été écrite sur les amours des jeunes yens ; un Cicéron sur parchemin, œuvre immense qui eût pu suffire aux plus longs voyages ; les vers brûlants de Properce non loin des histoires de Tite-Live ; Salluste, l’admirable écrivain et les vers tristes et galants du malheureux Ovide. Qui encore ? Tibulle, la victime de Némésis, sa coquette maîtresse, qui l’a ruiné, mais qui lui a donné la gloire ; Lucain, grand poëte tant décrié par les prétendus connaisseurs, mais si populaire en dépit de toutes les critiques ; Catulle enfin, l’honneur de Vérone comme Virgile est la gloire de Mantoue. Tels étaient mes trésors, tels étaient mes dieux domestiques, tels étaient les confidends assidus, les consolateurs de ma glorieuse pauvreté !

Après quelques instants d’hésitation (hélas ! je comprenais déjà confusément que ce n’est pas sans chagrin et sans péril qu’on se sépare de Rome, cette grande prostituée), je pris la main que me tendait Marcella : — Vous êtes belle et vous êtes bonne, lui dis-je, ô Marcella ! Qu’il en soit fait comme vous dites. Je le veux, soyez ma femme, emmenez-moi loin de Rome ; quittons, quittons la ville ; retournons dans nos fertiles campagnes, sous notre beau soleil, aux bords de notre beau fleuve. Oui, c’en est fait, tu dois redevenir un homme libre, Martial ! Tu seras libre, si tu t’abstiens de manger chez les autres, si le jus du raisin d’Espagne te suffit pour apaiser la soif, si tu es assez sage pour voir d’un