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Mais qui se serait douté, à la voir si calme et si tendre, que c’était là une Espagnole ? Il y avait dans toute sa personne quelque chose de si exquis, de si délicat, de si reposé ! à entendre la perfection de cette langue romaine qu’elle parlait dans toute sa pureté, Rome l’eût saluée comme une patricienne ; elle n’avait son égale ni au milieu du quartier de Suburra, ni près du mont Capitolin, qui sont les plus beaux quartiers de la ville. Personne plus que cette aimable épouse ne méritait d’être Romaine ; mais aussi, j’ai supporté, pour lui plaire, et sans trop d’efforts, mon exil volontaire loin de Rome ; seule, elle est pour moi Rome entière.

Le lendemain de ce triste jour je la vis entrer dans ma demeure. Sa démarche était calme ; son visage était tranquille ; il y avait dans son regard je ne sais quel orgueil mêlé d’une tendre bienveillance, qui commandait l’amour et le respect. — Martial, me dit-elle en me tendant la main, mon cher compatriote, il y a longtemps que je vous aime et que je vous ai pris en pitié. Je sais par cœur toutes vos poésies, et je connais à fond toutes vos misères : vous êtes entouré d’ennemis et de flatteurs ; vous êtes le jouet de l’amitié et de la gloire. Malheureux, qui avez flatté en tremblant Domitien lui-même ! qui vous êtes fait le jouet des nobles et des riches ! Je vous plains et je vous aime, Martial ! Je me suis dit à moi-même que vous étiez perdu sans retour, si quelque honnête fortune et un cœur dévoué ne venaient à votre aide. Martial, pauvre homme ! ta jeunesse s’est perdue en flatteries vaines ; ta vie se perd en méchancetés inutiles, tu a jeté aux vents et sans pitié les trésors les plus précieux de ta poésie ; le loisir, non le génie, t’a manqué pour être un grand poëte. Eh bien ! voici que je viens à ton aide, moi qui t’aime, qui suis belle et riche !

Je ne veux pas que tu sois plus malheureux que les poètes qui, dam l’égoïsme général, et privés de Mécènes, ont été inspirés ou sauvés par les femmes ! — Properce était aimé de Cynthie ; Lycoris aimait Gallus ; Tibulle s’inspirait de la belle