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année une livre d’argent : je n’achète pas si cher une demi-livre de poivre.

A cette réponse, Scévola sortit en rougissant de colère, et toute l’assemblée battit des mains à Martial.

Alors l’honnête Cimber, s’approchant de moi :

— Vous vous êtes surpassé ce soir, mon ami Martial ! Acceptez ce petit cachet, qui représente le jeune esclave de Brutus.

Je mis l’anneau à mon doigt, et je dis à Cimber :

— Acceptez en revanche ce distique ; je l’ai fait hier pour votre tableau d’Héro et Léandre :

« L’audacieux Léandre, poussé par l’amour, s’écriait au milieu des flots : — Flots orageux, ne m’engloutissez qu’à mon retour ! »

— Que pensez-vous, me dit le savant Cotta, du Moucheron de Virgile ?

— C’est un éclat de rire après l’Arma Virumque, lui répondis-je.

— Et le poëme des Grenouilles d’Homère ?

— C’est une excuse pour Martial.

J’entendis Cotta qui murmurait en souriant : — Aussi habile à parler sérieusement qu’ingénieux à dire des riens !

Je te raconte ainsi tous les moindres détails de cette soirée, parce que cette soirée fut la dernière heure de mes lâchetés poétiques. J’allais être enfin affranchi de cette horrible lutte contre la misère ; j’allais enfin redevenir un homme libre grâce à cette dernière heure de ma prostitution poétique. O bonheur ! dans cette foule de gens oisifs et de belles femmes, qui faisaient de mon esprit un délassement futile, il y en avait une qui put à peine contenir ses larmes en me voyant exécuter ainsi, le sourire à la bouche ot le désespoir dans le cœur, ces horribles tours de force. Par un bonheur incroyable, cette belle femme de tant de pitié était ma compatriote, une brune Espagnole à l’âme brûlante, née comme moi sur les rives sauvages du Salon,