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Où trouver un meilleur emploi de nos loisirs ? Quoi ! tu voudrais échanger le brodequin contre le cothurne, ou bien chanter la guerre et ses fureurs en vers ronflants, pour qu’un pédant enroué fasse de toi la haine des petites filles et la terreur des petits garçons obligés d’apprendre tes poëmes par cœur ! Abandonne ces tristes labeurs à ces écrivains tristes et sobres qui passent leurs nuits à la clarté douteuse de la lampe. Pour toi, continue de répandre dans tes écrits le sel romain ; reste à loisir le peintre fidèle des mœurs de ton siècle. Qu’importe que tes chants s’échappent d’un simple chalumeau, si le chalumeau vaut les trompettes ?

Oui, la Mause a raison : restons le poëte des jeunes gens fougueux, des belles femmes galantes, des esprits rieurs, des élégants de Rome ; flattons tour à tour la beauté et la jeunesse, et narguons les censeurs ! D’ailleurs mes différents livres d’épigrammes ne se ressemblent guère : ce n’est pas seulement aux oisifs de la ville, aux oreilles inoccupées que s’adressent mes écrits ; ils sont lus aussi par l’austère centurion au milieu des glaces de la Gétie ; les Bretons récitent mes vers ; j’en ai fait que la femme de Caton et les austères Sabines pourraient lire sans rougir. Mon vers est tour à tour enjoué et sévère, triste et rieur, plein de joie, barbouillé de lie, plein d’amour, parfumé comme Cosmus, folâtre avec les garçons, amoureux avec les jeunes filles, chantant Numa et célébrant les saturnales. Mais, croyez-le, ce ne sont pas mes mœurs que je consigne dans ces livres.

J’ai été toute ma vie entouré d’aboyeurs, de plagiaires ; c’était mon lot de faiseur d’épigrammes, et je ne m’en plains pas : quiconque est l’agresseur, on l’attaque ; seulement, il est malheureux que celui-là qui bataille avec esprit et courage soit traité lâchement, et sans esprit, dans l’ombre. J’ai eu des ennemis si affreux qu’ils colportaient, en me les attribuant, des propos de valets, d’ignobles méchancetés, des turpitudes dignes de la bouche d’un baladin. Rome