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avant le faiseur de tragédies ; celui qui écrit une tragédie a toute liberté d’expliquer son œuvre à l’aide du prologue ou du récit ; il faut que l’épigramme agisse en peu de mots ; souvent un trait suffit ; la tragédie aime l’enflure et les manteaux splendides ; l’épigramme est simple et nue ; la foule admire les illustres tragédies, mais elle sait par cœur les bonnes épigrammes.

Quelques-uns me reprochent d’être badin et de ne jamais écrire des choses sérieuses ; mais, si je préfère aux choses sérieuses celles qui amusent, c’est ta faute, ami lecteur, toi qui lis et qui chantes mes vers dans toutes les rues de la ville. Ah ! tu ne sais pas ce qu’elle me coûte cette popularité misérable ! Si j’avais voulu me poser comme le défenseur de tous les opprimés dans le temple du dieu qui tient la faux et le tonnerre, si j’avais voulu vendre mon éloquence et mon esprit aux accusés tremblants, mes celliers eussent regorgé de vin d’Espagne, ma toge eût été brodée en or. Un pauvre homme qui fait des livres ne peut attendre au plus, pour son salaire, qu’une place à quelque bonne table. Laissons donc aboyer ces détracteurs, et méprisons leurs cris impuissants.

Ils attaquent vers par vers, comme s’il s’agissait du poëme de Lucain, des bagatelles qui ont eu le bonheur de plaire aux plus éloquents orateurs du barreau, de petits livres que Silius place avec honneur dans sa bibliothèque, des vers que citent Regulus et Sierra ! D’autres critiques plus indulgents m’ont reproché mes épigrammes en vers hexamètres : j’avoue qu’une épigramme a tant de pieds est un peu lente… on est libre de ne pas lire mes vers hexamètres. Plus d’une fois, sensible aux encouragements de ceux qui médisaient : Travaille, Martial ! accomplis des poëmes de longue haleine, Martial ! J’ai voulu m’élever dans une autre sphère ; mais bientôt ma muse, secouant autour de moi les parfums enivrants de sa chevelure, me disait d’une voix qui chante : — Ingrat ! peux-tu bien renoncer à notre charmant badinage !