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nade ; enfin, de la plaine recourbée de Mulinena, que Manlius féconde avec ses taureaux vigoureux. »

C’était un ingénieux tour de force : insinuer ces noms barbares dans l’oreille délicate des Romains !

Ce Martial si méchant, que de fois il a suivi en pleurant le deuil de ses amis ! (Hélas ! tout le monde les a oubliés, excepté lui !) J’ai consolé, autant que des vers partis du cœur peuvent consoler, cette grande dame romaine, Nigerina, qui fit par ses vertus l’oraison funèbre de son mari. Je n’ai pas laissé passer un seul jour sans visiter mon cousin Jules Martial :

« Que ne puis-je aussi jouir en paix du reste de mes jours, disposer de mes loisirs, et me servir de la vie en homme sage et libre ! Nous irions vivre, toi et moi, loin des antichambres, loin des grands, des procès, mais non pas loin de Rome. Les promenades, la conversation, la lecture, le Champ de Mars, le Portique, les eaux limpides, les thermes, voilà les lieux, les travaux qui nous plairaient ! Mais, hélas ! quel mortel peut vivre pour soi et pour ses amis ? Nos beaux jours s’enfuient, inutilement prodigués ; jours perdus que le Temps nous compte. »

J’ai bien aimé aussi une jeune femme, Julia, plus douce que le dernier chant du cygne, plus tendre que les agneaux du Galèse, plus blanche que les perles de la mer Erythrée. Les femmes qui habitent le » bords du Rhin n ont pas une plus longue chevelure ; elle avait l’haleine suave des roses de Pœstum ; de sa peau s’exhalaient les vapeurs du safran qu’une main brûlante a froissé. Elle est morte ; et, pendant que son mari comptait les deux cent mille sesterces dont il héritait, je m’écriais : « Plus d’amour, plus de joie et plus « de fêtes, plus de bonheur pour toi, Martial ! »

Que j’en ai vu mourir ainsi, des plus beaux et des plus belles ! Saloninus, ombre irréprochable ; Claudius, l’affranchi de Melior, les regrets de Rome entière, enseveli sur la voie Flaminia, esprit vif, pudeur innocente, rare beauté ;