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dont rien n’approche, tu seras mon dernier amour ! Rome, où le pauvre ne peut ni penser ni dormir, tu seras toujours le regret de Martial devenu riche. Que de fois, quand j’étais perdu dans ce tourbillon de plaisirs, de pensées et d’affaires, ai-je maudit ce grand bruit sans cesse et sans fin qui se faisait à mon esprit, à mes oreilles ! Comment (m’écriais-je) faire de la poésie avec les maîtres d’école le matin, les boulangers la nuit, les batteurs d’or tout le jour ? Ici un changeur fait sonner sur son comptoir les pièces marquées au coin de Néron ; là un batteur de chanvre brise à coups de fléau le lin que nous fournit l’Espagne ; plus loin le prêtre de Bellone, ivre de fureur, se heurte contre le Juif, instruit par son père à mendier.

Qui voudrait compter à Rome les heures perdues pour le sommeil, vous dirait combien de mains agitent les bassins de cuivre qui détachent les astres du ciel. Et pourtant, ô Rome bruyante et cruelle, sans pitié pour les poètes, ton poëte Martial, à qui tu refusais du pain et une toge, ne peut s’empêcher de te pleurer. Depuis trois ans qu’il a quitté sa misère poétique pour la fortune, il n’a pas osé invoquer une seule fois cette muse souriante et déguenillée qui ne lui faisait jamais faute en sa maison sans toit et sans ombrage. Recevez donc ce nouveau livre de mes souvenirs comme il a été écrit et pensé, c’est-à-dire style et pensée de la province, livre romain, non pas seulement écrit en Espagne, mais, j’en ai peur, un livre espagnol.

Les temps sont bien changés pour mon esprit : autrefois j’envoyais mes livres de Rome chez les autres peuples ; maintenant je les envoie des bords du Tage à Rome. Et cependant, va, mon livre, et, malgré la distance qui te sépare de la ville, tu ne passeras pas pour un nouveau venu, pour un étranger, dans la cité de Romulus, où tu comptes déjà tant de frères. Va, tu as le droit de cité romaine ; frappe hardiment au palais neuf, où leur temple vient d’être rendu au chœur sacré des Muses ; ou bien gagne d’un pied léger la