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II

Avant de vous raconter cette partie de ma vie, je sais que j’ai à mo justifier de trois années d une paresse opiniâtre, et d’autant plus que maintenant je n’ai même pas le droit d’accuser les bruits, les tumultes et les frivoles occupations de Rome. Comment donc me justifier de n’avoir été qu’un oisif dans cette complète solitude de la province, où l’étude est la seule ressource de mon esprit, la seule consolation de mon cœur ? Hélas ! dans cette heureuse retraite je cherche en vain les oreilles délicates que je trouvais à Rome : il me semble que je parle à des barbares. En effet, s’il y a dans mes livres quelque peu de cette délicatesse ingénieuse qui distingue les grands poètes, je le dois à mes auditeurs. Rome ingrate, et que je regrette, où es-tu ? Où sont ton esprit si vif, ton jugement si fin, ton goût parfait ? ces bibliothèques, ces théâtres, ces réunions d’heureux oisifs où l’on ne sent de l’étude que les plaisirs ? Vive la pauvreté servie ainsi par toutes ces intelligences d’élite ! Vive le génie favorisé par de tels auditeurs ! Dans cette province reculée où je suis riche et considéré de tous, heureux près d’une belle femme que j’aime, possesseur d’une maison et de beaux jardins, entouré d’une bibliothèque de chefs-d’œuvre, je me prends à regretter parfois mes misères à Rome et ma solitude à Rome, mes folles amours à Rome, ma vie honteuse de parasite, de flatteur, mais à Rome !

Hélas ! que j’ai pitié souvent de mon abondance présente, et que cette fortune me pèse, entouré comme je suis de cette servitude de province et de foutes les jalousies mesquines de mon municipe ! Hélas ! loin de Rome point de génie ! Rome, déesse des nations et du monde, Rome que rien n’égale,