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Nous avons donc beaucoup loué Domitien ; non pas moi, mais ma pauvreté. Domitien a payé mes louanges en tyran avare qui comprend très-bien que ce ne sont pas les poètes qu’il lui faudrait acheter, mais les historiens, et que les historiens ne se vendent pas. Mes douze premiers livres d’épigrammes sont tachés du nom de Domitien. C’est en vain que j’ai voulu louer le tyran en honnête homme : il y a de certaines louanges qui ne peuvent pas être honnêtes. Pour me punir, la Muse, qui est juste, m’abandonna toutes les fois que je parlai de cet empereur émule de Néron ; et moi, je le dis à ma gloire, malgré toute mon imagination et toute ma facilité à écrire en vers sur un sujet donné, j’ai toujours été un mauvais poëte et un maladroit, quand j’ai flatté l’empereur Domitien. J’ai fait des vers sur l’amphithéâtre qui ! a bâti, et je n’ai rien trouvé de mieux que de comparer cet amphithéâtre aux pyramides d’Egypte ; j’ai raconté que de tous les coins de l’univers les barbares arrivaient pour saluer ce terrible César.

J’ai flatté les manies du tyran. Par ses ordres, des femmes descendaient dans l’arène pour s’entre-déchirer : j’ai célébré le courage de la Vénus aux griffes terribles : — ses bourreaux jetaient aux ours des malheureux que les ours dévoraient vivants : j’ai trouvé que ces supplices, toujours renouvelés, représentaient à merveille le supplice de Prométhée, et j’ai dit à ce sujet mille affreuses gentillesses. Un autre jour, c’était un rhinocéros qui faisait ses premiers débuts dans le Cirque ; j’ai applaudi le rhinocéros impérial. L’ours eut son tour : j’ai chanté l’ours, pris dans la glu comme un habitant de l’air. Je n’ai pas oublié l’éléphant qui adorait César à genoux : « Crois-moi, disais-je à Domitien, l’éléphant comprend, tout comme nous, ta divinité. »

Voilà comme je cherchais à chaque instant à couvrir mes malheureux éloges par quelque allégorie qui les fît paraître moins directs. Je mettais à profit la moindre anecdote du Cirque : — Le tigre privé qui redevient féroce à l’aspect