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mus, de mes trois chevreaux ; parle donc de mes trois chevreaux ! — Bien portant hier, Andragoras est mort ce matin : il avait vu en songe le médecin Hermocrate. — Un inconnu me regardait dans la rue d’un air étonné ; Serais-tu, me dit-il, cet ingénieux Martial, notre esprit courant de chaque jour ? Pourquoi donc portes-tu un si mauvais manteau ? — Hélas ! répondis-je, c’est que je suis un bon poëte. »

Ainsi j’ai vécu sous Galba, sous Othon, sous Vitellius, sous Vespasien, empereurs d’un jour. Quatre empereurs en si peu de mois ! je n’eus même pas le temps de les flatter. J’ai vécu sous Néron, le plus méchant des hommes, à qui Rome doit ses plus beaux thermes, et je n’ai pas flatté Néron ! Mais quand Domitien fut le maître, j’étais plus pauvre que jamais : ma dernière toge était usée, ma dernière sportule était dévorée, mon crédit était épuisé ; je ne pouvais plus entrer même chez le barbier qui m’écorchait chaque matin ; pas un ami, pas de foyer domestique, pas un esclave pour me servir ; rien d’un homme libre ; j’étais le plus pauvre des poètes qui se traînaient le matin et le soir dans l’antichambre des grands. Ce fut alors que je m’adressai à l’empereur Domitien : il fallait vivre. Tant pis pour les grands de Rome, qui ont poussé leur poëte à cette extrémité !

Dans cette aimable Italie il n’y avait pas un morceau de terre, pas un toit, pas un arbre, pas une robe pour le poëte. Quelle misère ! On est aimé de la foule, applaudi de tous les beaux esprits, recherché des femmes ; on vit familièrement avec les plus grands, les plus puissants, les plus riches ! Dans des palais de marbre on ne voit que vases d’or, riches statues, tableaux des grands maîtres, ivoires, airains, marbres précieux, robes de pourpre, esclaves empressés ; et cependant la faim, le froid, un manteau troué, et sous ces haillons sourire encore, flatter encore, ou bien aiguiser la joyeuse épigramme qui doit faire rire une cour avare !.. Tel était l’heureux destin de votre pauvre ami Martial.