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soi-même être en guenilles ! Demander à Caïus un emprunt de mille sesterces, et n’en recevoir qu’un bon conseil ! Menacé d’un procès, inviter à dîner Cécilianus, le juge, pour se le rendre favorable ; à peine toucher aux mets qu’on lui sert, et lui voir entasser dans sa serviette filets de porc, barbeau, brochet, pâtisseries excellentes, pour envoyer tout le dîner dans sa maison, sans penser au malheureux plaideur qui l’a invité ! Posséder un ami qui vous répète à tout bout de champ : Tout est commun entre nous, et (misère !) être à peu près nu, pendant que votre ami est vêtu de pourpre ! Occuper un tabouret de bois pendant que votre ami est étendu sur l’ivoire ! Manger dans la terre pendant qu’il mange dans le vermeil !

En plein hiver ne pas obtenir de l’ami, votre égal, un de ses vieux manteaux. Dans cette Rome opulente, le poëte est plus malheureux que le dernier des esclaves ; il n’a pas une baignoire, un livre à lire, un ami à aimer, tine maîtresse, un serviteur, un auditeur ! Ainsi me fallait-il vivre !

Ne vous étonnez donc pas si la colère devint bientôt pour moi une seconde muse. Je n’étais pas né méchant et railleur ; j’étais fait pour chanter le vin, l’amour, les dieux, les héros, pour être l’ornement des fêtes romaines ; la misère a fait de moi un satirique, un cynique, un poëte sans honte, un diseur de riens.

J’ai pénétré de vive force dans toutes les maisons qui m’étaient fermées ; j’ai su les histoires les plus secrètes des hommes et des femmes, et je les ai mises en vers afin d’être le fléau de ceux qui n’avaient pas voulu de moi pour leur flatteur. J’ai écrit ainsi, au jour le jour, la chronique scandaleuse de la belle société de mon temps ; j’en ai raconté à fond les vices, les débauches, les adultères cachés ; il ne s’est pas dit un bon mot dans la ville de Rome dont je n’aie fait sur-le-champ mon profit ; j’ai été l’écho bruyant et goguenard de la conversation journalière. C’est ainsi que pas