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raisin, des pommes plus douces que le miel, des grenades de Carthage, des olives du Picenum !

Métier de honte et de misère, la poésie ! Oh ! me disais-je en cachant ma douleur sous un air riant, si le ciel m’avait seulement donné une petite ferme où je pusse vivre, comme j’aurais vécu sans faste au sein de la médiocrité et de l’étude ! Eût fait qui eût voulu le métier de courtisan : ce n’est pas moi qu’on eût vu dès le matin attendre en quelque antichambre glacée le lever du patron, et lui adresser humblement mon salut. Avec quelle joie j’aurais renvoyé à Flaccus sa misérable sportule de cent quadrans ! — Mais non ! tant de bonheur n’est pas fait pour Martial ; et ce soir même il faut que j’aille tendre la main au vil Rufus !

Encore si j’étais né avec la souplesse du parasite ! si j’avais l’effronterie de Silius ! Silius se promenait fort tard sous le portique ; son visage était triste, abattu, ses cheveux étaient en désordre ; on eût dit qu’il avait perdu sa femme et ses deux enfants. Un plus grand malheur était arrivé : Jugez quel triste et fâcheux événement ! — il était allé le malin flatter Célinus au portique d’Europe, il avait traversé vingt fois l’enceinte des Comices, il avait parcouru tour à tour le temple d’Isis, le jardin de Pompée, les bois de Fortunatus, ceux de Faustus, ceux de Grillus, pleins de ténèbres, ceux de Lupus ouverts aux vents de toutes parts : ainsi éreinté, affamé, altéré, ce malheureux Silius, ce soir-là, était forcé… de dîner chez lui !

Horrible vie ! et si je tentais de quitter les sénateurs, mes patrons, pour des tables plus modestes, toute maison m’était fermée. J’allais dîner chez Maxime ; Maxime dînait chez Tigellin ; j’allais saluer Paulus ; Paulus lui-même était en train d’accompagner Posthumus. J’étais le parasite d’un parasite, le valet d’un valet. Quelle fatigue ! répondre à chaque instant à ces riches, quoi qu’ils fassent et quoi qu’ils disent : c’est parfait ! c’est admirable ! suivre à pied la litière de Rufus couvert d’une toge plus blanche que la neige, et