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courage de passer, au grand galop de son cheval, sous un portique en ruine, et je célébrais sa valeur comme s’il eût été le véritable Régulus.

« Quel horrible forfait, m’écriai-je (pardonnez-moi, j’étais à jeun !), ce portique a pensé commettre ! il s’est écroulé tout à coup au moment où venait de passer Régulus ! » Pour me payer mes vers, mon héros m’invitait à souper à la table de ses affranchis.

Un autre jour, je flattais le débauché Julius ; je l’invitais (chose inutile) à jouir des plaisirs de la jeunesse : « Ils passent, ils s’envolent, tes beaux jours ; saisis-les de tes deux mains ! » Julius m’envoyait par son esclave un bracelet dont ne voulait plus Stella, sa maîtresse. Quelquefois, mais sans avoir besoin de le flatter, j’allais passer quelques jours dans la maison d’un honnête citoyen nommé Proculus. La route était belle, heureuse ; je cheminais le long du temple de Castor, voisin de l’antique Vesta, la demeure de nos vierges ; j’admirais la statue équestre de l’Empereur, véritable colosse de Rhodes ; je passais entre le temple de Bacchus et celui de Cybèle ; sur ces murs sont représentés en couleurs brillantes les prêtres du dieu du vin. Plus loin, à cent pas, s’élevait l’hospitalière maison de Proculus. Il y avait loin de cette maison au cirque de Flore, voisin de ma pauvre demeure. C’étaient là mes instants de bonheur.

Triste métier en ce temps, la poésie ! Flatter ceux qu’on méprise, insulter ceux qu’on redoute, haïr tout haut ou tout bas ; tout cela pour mourir de faim ! Parmi les neuf chastes sœurs, pas une, hélas ! ne donne la richesse : Phébus est un pauvre glorieux, Bacchus n’a que du lierre à vous offrir, Minerve un peu de sagesse, l’Hélicon ses froides eaux, ses pâles fleurs, les lyres de ses déesses et des applaudissements stériles ; le Permesse, une ombre vaine comme la gloire. O malheur ! ce poëte venu de si loin, tout rempli d’enthousiasme et d’amour, jeune, passionné, l’enfant de Pindare, l’élève d’Ho-