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XXXIV

belles femmes, qui faisaient de mon esprit un délassement futile, il y en avait une qui put à peine contenir ses larmes en me voyant exécuter ainsi, le sourire à la bouche et le désespoir dans le cœur, ces horribles tours de force. Par un bonheur incroyable, cette belle femme de tant de pitié était ma compatriote, une brune Espagnole à l’âme brûlante, née comme moi sur les rives sauvages du Xalon. Mais qui se serait douté, à la voir si calme et si tendre, que c’était là une Espagnole ? Il y avait dans toute sa personne quelque chose de si exquis, de si délicat, de si reposé ! A entendre la perfection de cette langue romaine qu’elle parlait dans toute sa pureté, Rome l’eût saluée comme née dans ses palais ; elle n’avait son égale ni au milieu du quartier de Suburre ni près du mont Capitolin, les plus beaux quartiers de la ville. Personne plus que cette femme ne méritait d’être Romaine ; mais aussi, grâce à elle, j’ai supporté sans trop d’efforts mon exil volontaire loin de Rome ; seule, elle est pour moi Rome tout entière.

Le lendemain de ce triste jour je la vis entrer dans ma demeure. Sa démarche était calme, son visage était tranquille ; il y avait dans son regard je ne sais quel orgueil, mêlé d’une tendre bienveillance, qui commandait l’amour et le respect. — Martial, me dit-elle en me tendant la main, mon cher compatriote, il y a longtemps que je vous aime et que je vous ai pris en pitié. Je sais par cœur toutes vos poésies, et je connais à fond toutes vos misères : vous êtes entouré d’ennemis et de flatteurs ; vous êtes le jouet de l’amitié et de la gloire. Malheureux, qui avez flatté en tremblant Domitien lui-même ! Infortuné et noble esprit, qui vous êtes fait le jouet des nobles et des riches ! Je vous plains et je vous aime, Martial ! Je me suis dit à moi-même que vous étiez perdu sans retour, si quelque honnête fortune et un cœur dévoué ne venaient à votre aide. Martial, pauvre homme ! ta jeunesse s’est perdue en flatteries inutiles, ta vie se perd en méchancetés inutiles ; tu as jeté aux vents et sans pitié les trésors les plus précieux de ta poésie ; le loisir, non le génie, t’a manqué pour être un grand poète. Eh bien ! voici que je viens à ton aide, moi qui t’aime, moi qui suis belle, moi qui suis riche ! Non, il ne sera pas dit que tu sois plus malheureux que les autres poètes de Rome, qui, dans l’égoïsme général, et privés de Mécènes, ont été inspirés ou sauvés par les femmes ! Properce était aimé de Cynthie, Lycoris aimait Gallus, Tibulle s’inspirait de la belle Némésis, Catulle a dû sa renommée à Lesbie ; si tu le veux, tu devras le