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XIX

un grand nom n’a été oublié dans ma louange, jamais la pâle envie n’a approché de mon cœur ; tous mes contemporains qui ont eu du génie ou de la vertu, je les salue avec respect : Rabirius l’architecte, Celer le préteur, Silius le consul, Nerva l’orateur, Catinus l’honneur de la science, Agathinus le vaillant soldat, Marcellinus vainqueur des Gètes. Jamais je n'ai manqué d’envoyer à Pline le Jeune mes livres d’épigrammes, « Reçois mes vers, lui disais-je. Ils ne sont ni assez savants ni assez « graves pour toi ; mais je fais des vœux pour qu’ils tombent en tes « mains à l’heure où, délivré de ces travaux qu’attendent les siècles a « venir, s’allume pour loi la lampe des festins, à l’heure où la rose « couronne tous les fronts, où les cheveux se couvrent de parfums, où « Caton lui-même sentait le besoin d’un vin pur.» Moi j’ai célébré Varus au tombeau, Apollinaris dans sa retraite, sur le doux rivage de Formies. Heureuse retraite, qui n’a pas son égale à Tibur, à Tusculum, a Préneste ! Il y avait à Rome un charmant poète féminin, Sulpicia, poète chaste et malin, à qui j’ai rendu hommage. Cette charmante femme, loin de sacrifier aux muses modernes, pleines de sang et de terreurs, enseignait les jeux badins, les chastes amours. Je l’ai surnommée l’Égérie de la poésie, et le nom lui en est resté. C’est moi qui ai composé l’épitaphe du comédien Paris, les délices de Rome, la fine plaisanterie venue des bords du Nil, l’art et la grâce, la folie et la volupté, l’honneur et les regrets du théâtre romain. Ainsi donc on ne peut pas dire : Le jaloux Martial ! l’envieux Martial ! Même on ne peut pas dire : Le méchant Martial ! Parce que j’ai été un des maîtres de l’épigramme, parce que j’ai stigmatisé tant que j’ai pu les envieux et les méchants, parce que j’ai jeté à pleines mains le ridicule autour de moi, parce que j’ai eu faim et que j’ai eu froid, parce que j’ai vécu dans l’abandon, parce que j’ai été un parasite à la table des grands, ce n’est pas à dire que je n’aie pas aimé, que je n’aie pas été aimé dans ma vie ; au contraire, les plus charmants poètes de cet âge et les plus populaires, Ovide et Tibulle, n’ont pas eu plus d’amis célèbres et plus de belles maîtresses que Martial. L’esprit est une grande puissance : il sert aux hommes de beauté, de jeunesse, de fortune ; il remplace la naissance, il remplace toutes choses. A ces causes, j’ai été recherché dans les meilleures maisons romaines, j’ai été l’ami des plus illustres familles ; les plus jolies femmes de Rome ont tenu à honneur de courber leur front poli sous le tendre baiser de Martial. A quoi servirait donc la poésie si elle n’apportait qu’humilia-