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XVIII

Même, à présent que j’y pense, je ne vous ai raconté que la plus petite moitié de mes souffrances. Qu’ai-je fait, et quelles imperceptibles misères vous ai-je racontées ! Il s’agissait bien, ma foi ! de l’avarice de Tulla, empoisonnant d’un vin frelaté le vin pur de la Campanie ; des quatre dents de la vieille Elia, qui m’en crachait deux au visage ; de l’ivrognerie de Sextilianus dans les cabarets les plus diffamés, des plagiats de Fidentinus, de la maîtresse de Régulus, du petit chien de Mummia, de Fescennina la buveuse, du ventre affamé de Nomencianus, de la voix d’Églé, rauque tant qu’Églé fut jeune et belle, et qui est redevenue douce et flûtée ! Non, non, ce n’est pas là toute ma vie ; il est impossible que tout l’esprit et tout le cœur que les Dieux m’avaient donnés se soient usés uniquement à ces petits commérages, l’amusement des riches et des sénateurs de Rome. Non certes, Martial le poète, qui admirait avec passion Horace et Virgile, qui se prosternait devant le génie de Lucain, tué par Néron, qui fut l’ami du grave satirique Juvénal, Martial n’a pu perdre ainsi son génie à creuser un grand trou parmi les roseaux pour proclamer les oreilles du roi Midas. Patience ! patience ! laissons de côté mes commencements misérables ; laissez-moi chercher dans ma vie quelques belles poésies sans fiel. Far exemple, n’ai-je pas fait de beaux vers sur Aria et Pœtus, ce grand courage conjugal qui échappe à la tyrannie par la mort ? n’ai-je pas chargé Marc-Antoine d’une exécration bien méritée, lui qui avait permis le meurtre de Cicéron ? n’ai-je pas eu de douces larmes pour les fils de Pompée, ce héros dispersé dans tout l’univers ? Qui mieux que moi a loué Quintilien, le suprême modérateur de la fougueuse jeunesse, la gloire de la toge romaine ? qui donc, sinon moi, a révélé le charmant esprit de Cassius Rufus, qui eût pu être le rival de Phèdre et qui s’est contenté de rire tout bas de la méchanceté des hommes ? Pas une gloire sincère que je n’aie dignement célébrée : le premier j’ai loué Perse de sa sobriété, en reconnaissant que j’avais contre ma gloire le grand nombre de mes vers ; quand Othon l’empereur se perça de son épée pour terminer la guerre civile, j’oubliai sa vie pour ne me souvenir que de sa mort, aussi belle et plus utile que la mort de César ; j’ai chanté Maximus Césonius, l’ami de l’éloquent Sénèque, qui a osé braver la fureur d’un despote insensé ; dans un distique devenu célèbre j’ai proclamé Salluste, et bien peu m’ont démenti, le premier parmi les historiens de Rome ; Silius Italicus, d’une vie si modeste, le disciple de Cicéron et de Virgile tour à tour, l’homme du barreau et du Mont-Sacré, a sa place dans mes vers. Pas