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IX

couvert d’une toge plus blanche que la neige, et soi-même être en guenilles ! demander à Caïus un emprunt de mille sesterces, et n’en recevoir qu’un bon conseil ! menacé d’un procès, inviter à dîner Cécilianus, le juge, pour se le rendre favorable, à peine toucher aux mets qu’on lui sert, et lui voir entasser dans sa serviette filets de porc, barbeau, brochet, pâtisseries excellentes, et envoyer tout le dîner dans sa maison, sans penser au malheureux plaideur qui l’a invité ! avoir un ami qui vous répète à tout bout de champ : Tout est commun entre nous, et cependant être à peu près nu pendant que votre ami est vêtu de pourpre ! être assis sur un tabouret de bois pendant que votre ami est étendu sur l’ivoire ! manger dans la terre pendant qu’il mange dans le vermeil ! O crime ! en plein hiver ne pas obtenir de cet ami, votre égal, un de ses vieux manteaux usés ! En un mot, dans cette Rome opulente être plus malheureux que le dernier des esclaves, n’avoir à soi ni un marchand de vin, ni un boucher, ni une baignoire, ni un livre à lire, ni un ami à aimer, ni une maîtresse, ni un serviteur, ni un flatteur ! Telle a été la vie de cet heureux et célèbre Martial !

Ne vous étonnez donc pas si la colère devint bientôt pour moi une seconde muse. Je n’étais pas né méchant ni railleur ; j’étais fait pour chanter le vin, l’amour, les dieux, les héros, pour être l’ornement des filles romaines : la misère a fait de moi un satirique, un cynique, un poète sans honte, un diseur de riens, un espion dans les maisons romaines. J’ai pénétré de vive force dans toutes les maisons qui m’étaient fermées ; j’ai su les histoires les plus secrètes des hommes et des femmes, et je les ai mises en vers afin d’être le fléau de ceux qui n’avaient pas voulu de moi pour leur flatteur. J’ai écrit ainsi, au jour le jour, la chronique scandaleuse de la belle société romaine ; j’en ai raconté à fond tous les vices, toutes les débauches, tous les adultères cachés ; il ne s’est pas dit un bon mot dans toute la ville de Rome, dont je n’aie fait sur-le-champ mon profil ; j’ai été l’écho bruyant et goguenard de la conversation journalière des enfants de Romulus. C’est ainsi que pas un nom de quelque valeur ne manque dans mes vers. Je n’épargne personne ! M’ont-ils donc épargné ? ont-ils eu pitié de moi, tous ces favoris de la fortune ? Grâce à moi, toute cette petite histoire de la grande société romaine est aussi immortelle que les hauts faits du premier César racontés par lui-même : j’ai découvert que Gellius pleurait son père en public, mais seulement en public ; que Daulus, avant d’être médecin, avait porté les morts ; que la coquette Lesbie ne fer-