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VII

Quelquefois, et sans avoir besoin de le flatter, j’allais passer quelques jours dans la maison d’un honnête citoyen nommé Proculus. La route était belle et heureuse : je cheminais le long du temple de Castor, voisin de l’antique Vesta, et la demeure de nos vierges ; j’admirais la statue équestre de l’Empereur, véritable colosse de Rhodes ; je passais entre le temple de Bacchus et celui de Cybèle : sur ces murs sont représentés en couleurs brillantes les prêtres du dieu du vin. Un peu plus loin s’élevait l’hospitalière maison de Proculus. Il y avait loin de cette maison au cirque de Flore, près duquel était bâtie nia pauvre demeure. C’étaient là mes instants de bonheur.

Triste métier la poésie ! flatter ceux qu’on méprise, insulter ceux qu’on redoute, haïr tout haut ou tout bas ; et tout cela pour mourir de faim ! Parmi les neuf chastes Sœurs, pas une ne donne la richesse ; Phébus est un pauvre glorieux ; Bacchus n’a que du lierre à vous offrir ; Minerve, un peu de sagesse ; l’Hélicon, ses froides eaux, ses pâles fleurs, les lyres de ses déesses et des applaudissements stériles ; le Permesse, une ombre vaine comme la gloire. O malheur ! ce poète venu de si loin, tout rempli d’amour et d’enthousiasme, jeune, passionné, l’enfant de Pindare, l’élève d’Horace et d’Ovide, l’écho sonore de l’école athénienne, Martial de Bilbilis, la misère le reçoit aux portes de Rome, la misère est son seul esclave ! Martial meurt de faim, pendant que la vieille Lycoris gagne encore par an, à vendre ses baisers flétris, cent mille sesterces ! Et l’on veut que le génie nous pousse librement ! et Lucius Julius, un de mes meilleurs patrons, me dit, au sortir de table, à moi qui suis à jeun : — Travaille, Martial ! fais quelque chose de grand, Martial ! Tu es un paresseux, Martial. — Ah ! c’est chose étrange d’entendre les heureux du monde parler ainsi ! Au moins, mes maîtres, si vous voulez que votre esclave fasse quelque chose de grand, faites-lui des loisirs tels que Mécène en faisait jadis à Horace et à Virgile : alors j’essaierai un poème pour les siècles à venir. Les Virgiles ne manqueront pas tant qu’il y aura des Mécènes ; mais moi, déjà vieux, et pourtant célèbre, si je veux avoir le misérable morceau de pain que Gallus donne tous les trois jours à ses clients, il faut que je sorte de ma maison de bonne heure : la maison de Gallus est située tout au loin, de l’autre côté du Tibre, et je dois attendre son réveil. Mais moi, si je dîne chez Tulla, il se trouve que le vieux falerne de Tulla est mêlé pour moi d’un vin détestable ; falerne assassiné. — Si je dîne chez Cécilianus, ce bon hôte avale seul et sans m’en offrir un grand plat de champignons, et moi je