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quoi tiriez-vous ? — Pourquoi ne lâchiez-vous pas la corde ? — Parce qu’elle se serait prise dans ce rocher là-haut et qu’on n’aurait pas pu la dégager. — C’est juste ; mais pourquoi ne corniez-vous pas ? — Je n’ai fait que cela ! — On n’entendait rien ! — Moi non plus ! — Eh bien, vous savez, nous ne descendrons plus jamais sans téléphone. » Ce qui fut fait. Et comme au fond de Guisotte il n’y avait rien, nous commandâmes : « Oh ! hisse ! »

En remontant, étant tiré trop fort, je faillis renouveler (en sens inverse) la scène du plafond de la maison du Baigneur sous le rocher qu’Armand avait considéré comme susceptible d’arrêter la corde au passage. — Ce jour-là, ce fut une grande frayeur. La nuit, nous eûmes tous le cauchemar.

Voilà pour les puits étroits. Les larges offrent un autre inconvénient. À Rabanel (celui de 212 m.), l’à-pic est de 130 mètres, pas moins ! Il fallut trois jours pour construire l’échafaudage de la chèvre et du treuil. Descendu le premier, attaché à une double corde, je tournai quarante-sept fois sur moi-même dans le vide absolu, heureux encore de m’être aperçu à temps que le seul moyen de ne pas perdre la tête durant cette vertigineuse giration, c’était de compter les tours !

En revanche, quel spectacle ! On aboutit à un talus de pierres incliné à 35 degrés, puis on descend de pied ferme et sans trop de peine pendant 20 mètres, et on aperçoit au-dessus de sa tête, au sommet d’une gigantesque nef d’église, longue de 400 mètres, large de 15, haute de 150, une immense lucarne de ciel bleu ; la lumière en tombe tamisée, étrange, irisant de reflets violacés les parois rapprochées du puits, où pendent, en larmes de cristal, les stalactites formées goutte à goutte.

Plus bas encore, à 170 mètres sous terre, nous découvrons, au pied du talus, une vaste grotte étincelante, longue de 60 mètres, large de 25, haute de 45 mètres ; ensuite un second puits de 20 mètres (pour la visite duquel il faut nous faire descendre la longue échelle de cordes : le téléphone transmet l’ordre, et Armand, resté en haut, dirige la manœuvre, qui dure une heure) ; enfin, à 212 mètres, le fond, avec le lit d’une rivière temporaire qui ne coule qu’après les orages et que des amas d’argile obstruent à brève distance en aval. — Rabanel nous a pris six jours et coûté 600 francs. — À la remontée, un paquet d’outils se détache et tombe de 90 mètres de haut à nos pieds ; nous avons pu nous garer. — Dehors, je questionne Gaupillat sur les réflexions qu’il a faites pendant les dix longues minutes de hissage. « Je me suis demandé, répond-il, à partir de quelle hauteur on serait sûr de se tuer du coup ! »

Je suis descendu deux fois dans Rabanel, et je ne pense pas y retourner !

La découverte capitale a eu lieu au puits de Padirac, sur le petit causse de Gramat, dans le Quercy, non loin du célèbre pèlerinage de Rocamadour (Lot). Le gouffre est tout rond, profond de 75 mètres ; en haut, 35 mètres de diamètre et 110 de circonférence ; en bas, 65 et 210 ; au fond, dans un angle obscur, autre puits de 28 mètres de creux, qui nécessite encore l’expédition par téléphone de l’échelle de cordes, et qui nous jette à 103 mètres sous terre, à la naissance d’un petit ruisseau. Ce ruisseau coule dans une grandiose galerie ogivale de 10 à 40 mètres de hauteur et de 5 à 10 de largeur ; bien vite il devient rivière, tant est abondante la pluie suintante qui tombe de la voûte et qui l’alimente ; nous avons trouvé ainsi comment l’eau du ciel se transforme en source dans l’intérieur du sol !

À 370 mètres de distance, le courant occupe toute la largeur de la galerie et