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commune de Laval-du-Tarn (812 m. ; 321 hab. la comm., 226 aggl.) est à 1 kilomètre en arrière de la coupure du cañon ; laissons-la à main droite et poursuivons notre course quasi aérienne par 898, 770, 921 et 866 mètres d’altitude, ayant sous nos pieds la Caze, Hauterive et la Malène, aplatis dans la profondeur. Rudes sont les sentiers en zigzag par lesquels on franchit le creux ravin de la Malène pour rejoindre le parapet du causse à 811, 851 et 883 mètres. Là le regard plonge à pic dans le détroit et les Baumes : toujours descendant et remontant de couronne en sotch et de sotch en couronne, nous dominons la fameuse Cour de Louis XIV, dont le profil est naturellement tout autre que vu de la rivière. À droite nous voyons Cauquenas, où l’on a récemment découvert une chapelle d’apparence très ancienne contenant des traces de peintures et des monnaies de différentes époques. Avant le hameau du Mas-Rouge, le monticule coté 916 forme le sommet de la margelle du puits des Baumes-Hautes, gouffre vertigineux à contempler ; mais de l’autre côté du ravin, à 1 kilomètre du Mas-Rouge et à 400 mètres de Saint-Jory, le point 861 est le prince de tous ces belvédères du causse.

Quelque modérée que soit la distance (30 kil. environ, détours compris), quelle que soit la force physique du promeneur, il est certain d’arriver là absolument harassé par les perpétuelles dénivellations du chemin parcouru depuis Sainte-Énimie ; mais l’enchantement du coup d’œil le délassera instantanément.

De la rive droite du Tarn, en cinq ou six quarts d’heure (p. 56), on peut monter sur ce promontoire, qui domine la rivière de 430 mètres et commande un panorama d’une telle grandeur qu’on l’a appelé le Point Sublime, par analogie avec le plus beau point de vue du grand cañon du Colorado. De là, l’œil hagard cherche en vain à embrasser ce tableau colossal qu’il regarde sans comprendre : les Étroits, le cirque des Baumes et le pas de Soucy. Englouties dans les précipices, les trois plus grandes scènes du cañon, ses trois merveilles à la fois sont réunies en un seul tableau. Même si l’heure et la fatigue n’arrêtaient pas ici la course du premier jour, l’admiration empêcherait de pousser plus loin : au coucher du soleil, le paysage semble vraiment émigrer en Amérique. « Comme hardiesse de ligne, c’est beau ; comme couleurs, c’est éblouissant. En fermant les yeux je revois nettement ce magnifique spectacle, mais le décrire m’est impossible ; je ne trouve qu’un seul mot : c’est une merveille. » (A. Lequeutre.)

Les touristes qui ne voyagent pas en courant et qui, par conséquent, consacrent deux jours au moins au cañon du Tarn, ne sauraient manquer, s’ils font la descente en barque, d’employer trois heures à l’ascension du Point Sublime.

En partant le matin de la Malène vers 7 ou 8 heures, on peut déjeuner aux Baumes, monter ensuite sur le causse de Sauveterre et arriver au Rozier à 5 ou 6 heures du soir, prenant tout le temps voulu pour admirer à loisir la dernière partie de la gorge.

Les piétons venus de Sainte-Énimie par le plateau iront chercher un repos bien gagné à Saint-Georges-de-Lévejac (891 m. ; 712 hab. la comm., 73 agglomération.), à 1 kilomètre au nord-ouest de la cote 861, et, si dure que soit la couche rencontrée, il est constant que les efforts musculaires faits le long de la crête accidentée leur procureront un pesant sommeil[1].

  1. Que le lecteur me permette ici de remercier publiquement le digne curé de Saint-Georges de l’hospitalité que j’ai trouvée sous son toit, plus agréable que dans le meilleur hôtel.