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par la chaîne bleuâtre de l’Aigoual ; on commence à descendre au sud-est ; peu à peu la verdure reparaît.

Le hameau du Bac, qui possède un gisement de pierres lithographiques, est à 870 mètres, planté au bord d’un ravin sans eau, qui devient vite un précipice. La route longe d’abord ce ravin, puis descend en lacets aigus vers les toits d’ardoise de Sainte-Énimie. Cette agglomération de toits noirs au fond d’un gouffre tout rouge produit le plus singulier effet. Il semble que l’on va tomber sur les maisons, tant la falaise est à pic. En face, de l’autre côté du Tarn, que l’on ne voit pas encore, se dresse d’un seul jet la muraille (haute de 600 m.) qui soutient le causse Méjean,

C’est de là que Sidoine Apollinaire avait dit : « J’ai vu une ville dans un puits. » (V. p. 32).

Une troisième et une quatrième route (chemins de grande communication nos 32 et 33) font communiquer le chemin de fer de Mende avec la gorge du Tarn en traversant le causse de Sauveterre ; elles partent de deux stations riveraines du Lot, Chanac (1,611 hab. la comm., 1,076 aggl.) et Banassac (1,275 hab. la comm., 339 aggl.), près de la Canourgue (1838 hab. la comm., 1338 agglomération.) ; elles se rejoignent sur le plateau à la Baraque des Pis[1] restent confondues pendant 5 kilomètres jusqu’à la cote 840 (après le Domal), se séparent de nouveau et descendent l’une à la Malène (chemin no 43, V. p. 46) par Recoulettes, l’autre à Boyne (no 32, V p. 98), entre Peyreleau et Millau, par le Massegros.

Ce dernier chef-lieu de canton isolé (383 hab. la comm. 267 aggl.), aux maisons voûtées, est à 1,200 mètres au nord de l’intéressante série de dolmens d’Inos.

La partie du causse de Sauveterre que parcourent ces routes est assez différente d’aspect de la région orientale. Ici les couronnes sont généralement couvertes de bouquets de pins ; les groupes d’habitations, moins éloignés les uns des autres ; les traces de culture, moins rares ; les sotchs, en forme de cratères, à fond plat et cultivé en seigle ou en avoine, plus nombreux, plus grands et plus verts, comme si la couche d’humus y était plus profonde. Pas une goutte d’eau d’ailleurs. Pourtant le sol semble moins âpre, moins hostile à l’homme. C’est encore une immense solitude, mais ce n’est plus tout à fait le désert. À quoi tient ce changement ? Est-ce à la diminution d’altitude, la table jurassique des grands causses Méjean et Sauveterre s’abaissant peu à peu de l’est-sud-est à l’ouest-nord-ouest ? Est-ce à l’apport plus fréquent d’humidité des vents d’ouest ? On ne sait, mais certainement la différence existe.

À droite, à gauche, de tous côtés, les mamelons bornent la vue ; on longe des sotchs cultivés, on traverse des planées pierreuses ; pas un rocher, rien que de petites pierres ; sur les pentes, des pins. Rien ne trouble le silence, ni hôtes ni gens, pas même l’aboi d’un chien. On ne saurait trouver d’expressions pour rendre le charme étrange, exquis et très puissant de cette solitude ensoleillée, de ce mutisme absolu.

La route qui part de Banassac (ancien atelier célèbre de poteries romaines rouges, dont la marque se retrouve parmi presque toutes les fouilles faites dans le Midi de la France), passe d’abord à la Canourgue[2] et s’élève sur le plateau à l’est en remontant la vallée de l’Urugne : c’est un bien court affluent du Lot,

  1. De ce point vers le sud-est on achève actuellement une route directe, suite du no 33, vers Sainte-Énimie par Laval-du-Tarn et Cabrunas. (V. p. 42.)
  2. La Canourgue (chef-lieu de canton) est à 2 kilomètres de la rive gauche du Lot, à 1 kilomètre du vil-