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les cévennes

rivière atteint 100 mètres de large, et le château s’y reflète comme dans un miroir. Çà et là, incrustés dans les cannelures de la roche, des arbres descendent jusqu’à la rive et forment berceau sur les eaux profondes. Plus loin, à gauche, sur un piton de roches nues, se hérissent le donjon et les murailles éventrées du château de Hauterive.

Nouveau barrage et nouveau changement de barque. Le village de Hauterive a quelques vieilles maisons voûtées.

On rembarque, et le paysage devient plus grandiose : c’est que le cañon s’élargit par le bas en même temps qu’il se rétrécit par le haut. La perpendiculaire règne presque partout sur les pentes : après un coude brusque, nous passons à la cote 452, et la carte indique 921 sur le Sauveterre, 954 et 980 sur le Méjean ; des ceps s’avancent de part et d’autre ; il n’y a plus que 1 kilomètre de discontinuité entre les crêtes des deux causses ! D’un plateau à l’autre, les bergers peuvent s’entendre et causer ; s’ils veulent se toucher la main, trois heures de chemin leur sont nécessaires.

À pied, entre le barrage de Hauterive et la Malène on remarquera : la curieuse corniche horizontale empruntée par le sentier au bord et à quelques pieds au-dessus de la rivière ; — une aiguille verticale, mince, qui paraît se soutenir par miracle, — et l’ogivale ouverture de la grotte del Drach (dragon), qui bâille à 30 mètres plus haut que le chemin et qui est pourvue d’une source intermittente.

Sur 2 kilomètres, le Tarn devient rectiligne jusqu’au barrage de la Malène, dont quelques bruyants ratchs nous séparent seuls. Déjà s’aperçoit le pont, et bientôt le grand rocher pointu au pied duquel le village s’abrite contre le froid du nord.

À gauche, au-dessous des roches plissées du causse Méjean, naît une source énorme, la fontaine des Ardennes[1] : véritable rivière souterraine, la plus considérable du cañon depuis Burle, jamais unique, toujours au moins double, parce qu’elle entre en rivière à la fois comme source de fond et comme source de bord, souvent triple, décuple, « quand longue fut la pluie ou féconde en averses la brève tempête autour des avens du causse Méjean méridional ».

On aborde au moulin de la rive droite, qu’anime une quinzième source à 400 mètres en amont du pont, puis on monte au village.

La Malène (Malena, mauvais trou, 619 hab. la comm., 281 aggl.), au débouché d’une brèche du Sauveterre et en face d’une brèche du Méjean, fut de tous temps un des rares passages du cañon. On ne sait à quelle époque remonte sa fondation ; mais les chroniques des évêques de Mende disent qu’en 531 l’évêque des Gabales, saint Hilaire (qu’il ne faut pas confondre avec saint Ilère, postérieur d’un siècle), fut assiégé dans le castrum de la Malène par les troupes de Thierry Ier, venu dans ces parages à la suite de la guerre d’Auvergne. L’entente bientôt s’établit entre le roi des Francs et l’évêque, qui, après avoir assisté au concile de Clermont en 535, devint le conseiller de Théodebert, fils du roi d’Austrasie. Grégoire de Tours ne dit rien de tout cela. Le castrum se trouvait probablement à l’entrée du ravin du causse.

Plus tard, la famille de Montesquieu posséda le vieux château de la Malène, peut-être construit sur l’emplacement de l’antique forteresse, et elle fit élever

  1. C’est sans doute une dérivation du mot Arènes, nom d’une famille propriétaire des terrains environnants en 1710.