Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
363
les eaux souterraines

Le cas peut se présenter, mais il n’est sans doute pas général. Il faudrait étudier l’intérieur des galeries de rivières avec grand soin pour résoudre la question ; or la chose est très difficile, car les parois sont toujours couvertes de stalagmites pu d’argile, et le magnésium même n’éclaire pas suffisamment loin. — À propos du Jura, M. Bertrand dit, au contraire, que les sources citées p. 358 sont le débouché de grandes cavités et de canaux souterrains sans rapport avec les lignes de failles de la région (carte géologique de France, feuille de Lons-le-Saulnier, n° 138, 1881-1882, publiée en 1884).

Les eaux intérieures peuvent aussi descendre plus bas que le niveau des grandes rivières, puis remonter et former dans leurs lits des sources de fond : telle est l’origine des cabas ou gouffres du Tarn, par exemple.

Tout ce régime hydrographique invisible a un très grave inconvénient, car « les crues n’ont pas lieu comme dans nos contrées : ici les affluents coulent à ciel ouvert, aussi peut-on savoir d’avance ce que sera une inondation ; là, au contraire, presque tous les affluents sortent des entrailles de la terre ; leurs eaux, comme la lave des volcans sous-marins, font irruption au fond même de la rivière et la grossissent sur place, sans qu’il soit possible de savoir au juste d’où elles viennent et d’apprécier leur volume. » (A. Lagrèze-Fossat).

Enfin M. Mouret croit qu’il peut y avoir des rivières souterraines, des rigoles, situées en plein dans la roche perméable, mais rendues étanches par des remplissages sidérolithiques.

On ne fera disparaître tous ces doutes et controverses que quand on entreprendra l’étude géologique raisonnée et méthodique des cavernes, dont nous n’avons qu’à peine commencé l’exploration purement topographique.

L’abîme de Rabanel, comme cas particulier, creusé dans le calcaire corallien, explique, nous l’avons vu p. 220, pourquoi certaines sources deviennent troubles après les orages : c’est à cause du remaniement temporaire des masses d’argile contenues dans des cavités voisines.

En résumé, la masse interne des Causses est bien moins caverneuse qu’on ne le croyait, et les eaux souterraines, au lieu de s’y étendre en grandes nappes, paraissent y circuler dans des galeries longues, étroites et hautes, ou sous des voûtes surbaissées, ce qui avait déjà été déduit de l’exploration de Bramabiau, de Dargilan et des Baumes-Chaudes en 1888.

Formation des cañons. — Les grottes et rivières souterraines des Causses expliquent lumineusement le mode de formation des cañons :

Étudions, pour commencer, le cours de Bramabiau.

De l’aspect des lieux comme de l’examen du plan et de la coupe, il ressort que les couloirs secondaires sont à peu près perpendiculaires à la galerie principale parcourue par la rivière, et qu’uniformément toutes ces conduites sont très étroites (1 à 6 m.) et fort élevées (10 à 40 m.). Ce faciès général prouve à priori, et surabondamment, que les eaux ont simplement suivi les cassures préexistantes (diaclases) de la masse calcaire ; si l’érosion n’a pas encore transformé en grottes spacieuses ces fentes intérieures qu’elle sape sans relâche, c’est faute de temps, l’enfouissement du Bonheur étant relativement récent, comme l’établit la conservation de ses anciens lits. (V. p. 180.) Or, ce que le Bonheur exécute actuellement aux dépens du plateau de Camprieu, des eaux plus anciennes et plus abondantes l’ont fait jadis dans les hautes dolomies des Causses pour former les vallées du Tarn, de la Jonte, de la Dourbie, etc.