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les eaux souterraines

causse Méjean (à Drigas, près Hures), ont donné aussi semblable résultat : Valat-Nègre, 55 mètres ; Péveral, 72 mètres ; Trouchiols, 130 mètres ; Drigas, 32 mètres. Étroits, allongés et d’une seule venue, ces neuf avens ne sauraient être autre chose que des diaclases agrandies dans une formation non stratifiée.

Plus tourmentés de formes, à cause sans doute de l’alternance des terrains en couches et des dolomies compactes, se trouvent les Baumes-Chaudes, Bessoles, Hures, Tabourel, et surtout la Bresse et Combelongue.

On verra sur les coupes que tous les puits se présentent non pas comme des entonnoirs, mais comme des bouteilles, plus larges en bas qu’au sommet. Ceci fait penser qu’ils ont été creusés par un mécanisme analogue à celui des Marmites de géants, et qui est le suivant :

« Parmi les effets mécaniques les plus remarquables que produisent les gros galets au pied des falaises marines, il faut compter ces cavités cylindriques connues sous le nom de Marmites de géants. De distance en distance, le terrain est creusé de petits trous où de gros galets viennent se loger. Quand ils y sont assez enfoncés pour n’en plus pouvoir sortir, chaque retour de la vague leur imprime un tourbillonnement, à la faveur duquel ils approfondissent peu à peu la cavité, tout en polissant ses parois. C’est ainsi que, même dans le granit, se produisent des tubes cylindriques susceptibles d’atteindre plusieurs mètres de profondeur. Souvent leurs parois portent des rainures en spirales grossières) attestant la nature du travail qui les a creusées.

« De même que les galets marins creusent au pied des falaises des Marmites de géants, de même les eaux torrentielles exécutent dans le canal d’écoulement, à la faveur des cailloux transportés, un travail exactement semblable. On peut dire que la formation de ces Marmites est encore plus facile dans le lit des torrents que sur les plates-formes maritimes, car la composante verticale est plus puissante pour les eaux torrentielles que pour les vagues, et les tourbillonnements ont beaucoup plus de chances de s’y produire. » (De Lapparent, p. 164 et 196.)

Nous avons déjà constaté ce mode particulier d’érosion au ravin des Arcs.

Même chose s’est produite dans les bouteilles des avens : le flot venu d’en haut faisait tournoyer les pierres et galets au fond des cylindres, usait et taraudait leurs parois et, d’autant plus fort que sa chute était plus haute, il augmentait la violence du tourbillonnement et transformait les cylindres en cônes au fur et à mesure de l’approfondissement ; s’il finissait par rencontrer une fente, il se mettait à élargir un couloir ou à vilebrequiner un nouveau puits, selon qu’elle était horizontale ou verticale. ( V. les coupes[1].)

La démonstration de ce travail est complète à l’Ègue, dont le grand puits ressemble du haut en bas au moule extérieur d’une gigantesque vis : une spirale polie comme une roche glaciaire se déroule tout le long des parois ; l’aspect de cette hélice colossale, de 60 mètres de hauteur et de 2 à 6 mètres de diamètre, est véritablement stupéfiant. L’avenc de l’Ègue est certainement la plus belle Marmite de géants connue. Même son orifice supérieur, et surtout celui de Combelongue, prouvent, par l’élargissement latéral visible sur les coupes et formant corniche voûtée autour du puits proprement dit, que le premier travail d’érosion a dû être le plus puissant, qu’ensuite les eaux n’ont foré qu’un tube de moindre diamètre.

  1. Nos récentes recherches de 1890 à 1892 ont grandement complété et modifié tout ce sujet. V. Annuaires du Club alpin français pour 1890, 1891 et 1892, et Comptes rendus de l’Acad. des sciences de 1892.