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les eaux souterraines

les assises peu compactes, le courant se creuse peu à peu de vastes salles, dont les plafonds s’écroulent et sont emportés par l’eau, grain de sable à grain de sable ; là où les bancs de pierre dure s’opposent au cours du ruisseau, celui-ci n’a pu se tailler, pendant le cours des siècles, qu’une étroite ouverture. Ces évasements et ces étranglements successifs forment une série de chambres, séparées les unes des autres par des parois de rochers. L’eau s’étale largement dans chaque salle, puis elle se rétrécit et se précipite à travers chaque défilé comme par une écluse. C’est à cause de ces cloisons qu’il est si difficile ou même impossible de naviguer à des distances considérables sur les cours d’eau souterrains. » (É. Reclus, la Terre, t. Ier, p. 351.)

Il y a deux sortes de rivières souterraines :

1° Celles qui, nées et coulant d’abord sur un terrain imperméable, s’engouffrent en un certain point de leur parcours dans des calcaires qu’elles viennent à aborder, pour déboucher ensuite d’une caverne et retrouver un lit aérien ;

2° Celles qui, produits directs de l’infiltration, se forment sous terre et voient le jour par ces puissantes sources qui sont rivières dès leur sortie.

Parmi les premières nous citerons[1] :

En France, Bramabiau ; la Touvre, le Bandiat, la Tardoire, toutes trois dans les Charentes (V. Daubrée, Eaux souterraines, t. Ier, p. 311 et suiv.); — l’Iton (département de l’Eure) ; — divers cours d’eau du causse de Gramat, dans le Lot, etc. (Nous avons exploré le ruisseau de Rignac, près de Gramat, qui se perd sous la voûte dite gouffre du Saut de la Pucelle : la rivière se suit aisément pendant 200 mètres, sous une galerie deux fois coudée à angle droit et large de 3 à 6 mètres ; puis le plafond s’abaisse au niveau de l’eau : le courant doit sortir 1,000 ou 1,300 mètres plus loin, au moulin de Tournefeuille [au sud-ouest], ou à celui du Saut [au sud], tous deux dans la vallée de l’Alzon [V. le plan, p. 360].)

En Belgique, la Lesse, qui traverse la grotte de Han.

En Autriche, la Recca, la Poik et l’Unz, la Lueg, etc.

En Suisse, la Noiraigue et les Emposieux de Neuchâtel ; les Estavelles de Porentruy, etc.

Celles d’Autriche sont les plus remarquables, et aucune n’est aussi étrange que la Recca (Carniole et Istrie), entre Trieste et Adelsberg.

Après environ 60 kilomètres de cours aérien, elle se perd dans une première grotte gigantesque (Mahorcic-Hœhle), qu’elle franchit, en formidables cascades, sous le village de Saint-Canzian ; au-delà elle reparaît au fond d’une dépression creuse de 80 à 160 mètres (dolina), produite par l’effondrement de la voûte de la caverne et où elle s’étale en un petit lac ; puis elle se perd une deuxième fois dans une caverne encore plus grandiose, dont on ne connaissait qu’une petite partie jusqu’à ces dernières années. La première tentative de pénétration, due à J. Svetina, remonte au 24 juin 1840. En mars 1850, Schmidl et Rudolf poussèrent à 500 mètres de distance. Depuis 1884, de hardis Autrichiens, M. Hanke, Muller, Marinitsch, Schneider, etc., ont entrepris la très difficile et très dangereuse exploration du cours désormais entièrement souterrain de la Recca : les obstacles sont de telle nature qu’en sept ans ils n’ont pu pénétrer qu’à 2,600 mètres de distance, jusqu’à la vingt-cinquième cascade ! C’est que la Recca à Saint-Cazian n’est

  1. La plupart de ces eaux se perdent dans des fissures ou sous des voûtes basses impénétrables ; d’autres s’engouffrent dans d’immenses portiques où la place ne manque pas, mais que l’on n’a guère osé explorer, de crainte d’être entraîné par le flot des cascades dans des gouffres inconnus. (V. p. 166.)